Art Of Burning Water – Living Is For Giving, Dying Is For Getting

Cinquième album déjà. Le groupe reste ce qu’il est. Art Of Burning Water c’est moche, dégénéré, ça sent mauvais et c’est approximatif. Et puis, c’est lourd aussi, ça empile les couches dégueulasses les unes sur les autres pour obstruer les capillaires et ça vise l’asphyxie. Et d’ailleurs, souvent ça l’atteint. Art Of Burning Water, ça va vite également. Rythmique marteau-pilon, voix d’hyène en rut, riffs qui giclent à la vitesse de l’éclair, l’un chassant immédiatement l’autre. Mais ça peut aussi être très lent et souvent, l’immobilité arrive sans crier gare, comme ça, en plein milieu d’un morceau par ailleurs jusqu’au-boutiste et violent. Et enfin, c’est assez monolithique. Bien plus ici que sur This Disgrace, leur précédent méfait de 2013. La faute sans doute à une production légèrement plus étouffée et à une série de morceaux en ouverture faussement gémellaires qui voient le groupe littéralement nous marcher dessus. Comme une cohorte d’éléphants obèses labourant l’épiderme. On a un peu l’impression que le disque lui-même se recroqueville sous son propre poids, que les sons tentent désespérément de s’échapper des enceintes pour inhaler un peu d’air ou y flotter simplement mais que la force centripète annule puis atomise la centrifuge. La musique retourne alors d’où elle était venue, réintègre le disque et s’écroule sous sa masse. Et puis tout ce qu’il y a autour fait de même : vous, les meubles, les murs et pour finir, la Terre entière. Un Big Bang à l’envers. Ajoutons à cela que le propos est majoritairement torturé, voire complètement désespéré et qu’il multiplie les araignées dans la tête. C’est tout le temps haineux et crispé, ça ne rigole jamais et ça vous fait ravaler fissa la moindre lueur d’espoir et vous abandonne là, dans des îlots de résignation et de haine de soi. Pas vraiment glamour, encore moins sexy. En reprenant les choses là où le précédent les avait laissées, Living Is For Giving, Dying Is For Getting rappelle fort justement en quoi Art Of Burning Water est un groupe formidable. Tout y est tellement prototypique. En mélangeant ainsi finement une tonne d’éléments pas drôles et malfaisants – hardcore épileptique, metal navrant et noise hargneuse, glacis industriel et énergie punk – le groupe circonscrit les règles de l’Art et met à jour rien de moins qu’une dialectique. Un disque que l’on pourra utiliser pour expliquer la guerre aux enfants ou montrer en quoi la violence, vraiment, tu vois, c’est moche.

La basse balance des algorithmes définitifs, martèle la pulsation dans une répétition pas claire ou au contraire, change d’embranchement toutes les trois secondes. On ne sait pas trop si elle impulse ou si elle suit. La guitare fait de même et administre un nombre impressionnant de riffs alambiqués : hachés menus ou massifs, découpés à la truelle ou finement ciselés, l’éventail ainsi mis sur pied est assez ahurissant. La batterie n’est évidemment pas en reste et on souffre pour le kit en permanence en se disant qu’il ne doit pas en rester grand chose à la fin de chaque morceau (ce que semble confirmer cette mignonne vidéo). Et puis, là-dessus viennent se greffer un nombre assez important de samples et de bruits captés ici et là qui, loin d’aérer le propos, le maintiennent plutôt fermement la tête sous l’eau. Et enfin, c’est au tour de la… euh, voix ? Si on peut appeler comme ça ces cris vicelards qui ont plus à voir avec un porc que l’on égorge qu’avec un être humain. En retrait, en permanence exagérée, elle recouvre l’ensemble d’une laitance démoniaque qui affermit encore plus le ciment grossier qui se tient en-dessous. Les bases sont posées et l’on pourrait croire que le tout manque de nuances. Il n’en est rien. On a même du mal à croire le nombre effarant de possibilités que permet l’attirail plutôt basique susmentionné. En dehors de l’atmosphère extrêmement noire et violente, peu de points communs entre un It Will All Make Sense When We’re Dead et un December 14th 1990 (Sadness Begins) qui le suit immédiatement par exemple : d’un côté quelque chose qui file à la vitesse de l’éclair, brise son hardcore contre des cathédrales de noise furibarde, de l’autre un bout de metal déviant lourd (très) et martial (beaucoup aussi) qui explose par à-coups et use d’une répétition forcenée. Art Of Burning Water explore consciencieusement le spectre de l’agression et se montre particulièrement exhaustif à ce petit jeu-là. On y entend des bribes d’Amebix, de Keelhaul ou de Converge, quelques accointances avec le dégénéré Temple Of The Morning Star de Today Is The Day pour l’odeur de soufre, un peu de Motörhead aussi et surtout, évidemment, sans l’ombre d’un doute, du Art Of Burning Water. Alors bien sûr, on pourra regretter que le trio n’aille pas voir ailleurs de temps en temps, d’autant plus que leur participation à The World Is Yours, compilation gargantuesque-hommage à Peter Kemp, laissait entendre un morceau un peu différent, un peu plus posé aux entournures, avec, enfin, une voix intelligible et en avant. Mais, chassez le naturel… Et puis on semble faire la fine bouche mais il n’en est rien, Living Is For Giving, Dying Is For Getting se montrant au final tout aussi impressionnant que This Disgrace.

« Art Of Burning Water love what they do and therefore need not to be loved for what they do » avance le communiqué du label. Avec de tels blocs intransigeants, on ne saurait mieux dire. Pourtant, il s’avère difficile d’aller dans leur sens. Art Of Burning Water n’aiment peut-être pas qu’on les aime mais on les aime précisément pour ça. Et parce que l’on se dit en permanence que ces trois Anglais-là peuvent tout faire, varier les attaques, explorer la vitesse autant que le ralentissement, aller au fin fond du fin fond de l’aliénation et de la férocité.

Intraitable et dégueulasse, on aura rarement entendu plus implacable cette année.

leoluce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *