Brame – Basses Terres

Basses Terres débute par des éclats de voix accompagnés d’une guitare baryton qui marque la pulsation puis s’en va tracer des méandres glaiseux une fois expulsée des enceintes. C’est bizarrement solaire mais également très pâle. Plus proche de l’aube que du crépuscule, lorsque le soleil blafard se cache encore derrière le brouillard sans vouloir succéder à la nuit. La musique de Brame sent l’humus et les fougères, les ronces et la terre grasse gorgée d’eau, elle porte en elle les grognements habituellement étouffés  par la canopée, ceux qui foutent la frousse et rappellent que ça grouille là-dessous. Comme un manifeste, le premier titre s’appelle Sanglier et ses huit minutes lui correspondent tout à fait. Dans toute sa majesté, c’est bien à l’animal que le morceau nous ramène. On parcourt avec lui les sentiers, on traverse les murs végétaux et on essaie de survivre à la nuit. Brame a un petit quelque chose qui rappelle fortement Earth, un truc indéfinissable qui fait que lorsqu’on l’écoute, on part en errance avec lui. Mais là où Earth préfère le désert et l’éclat minéral magnifié par le soleil, Brame opte pour la forêt et les friches organiques. Basses Terres fait naître un road movie – bucolique certes mais surtout inquiétant – dans le crâne, un road movie qui n’aurait que faire des routes. Il faut dire que le duo n’a pas son pareil pour communiquer ce qu’il a dans le ventre. Extrêmement rugueux, il se fout des fioritures. Pourtant, rien n’est approximatif dans sa musique. Elle est simplement brute et rejette bien loin l’embellissement. Mélange de noise sèche et de drone pelé, de poussières de blues bien singulier, Brame expulse une mixture que l’on pourrait qualifier de tribale, voire de primitive, en prise directe avec le magma qui court sous les pieds. La voix n’est qu’un râle, un cri, un grognement dont s’échappent quelques mots de temps en temps. Elle ne dépasse jamais le pré-verbal et pourtant, on comprend tout à fait ce qu’elle communique.

Même chose du côté des instruments, difficile d’identifier les mélodies, les ponts et tous ces trucs qui font habituellement qu’un morceau paraît construit. À la place, des riffs distordus, répétés ce qu’il faut pour qu’on s’y enferme, des proto-percussions, des frottements, des bruits et parfois un harmonica lointain qui danse avec les volutes de slide. La musique de Brame est primale et s’adresse donc aux tripes. Attention, elle n’a rien de bas du front, elle évacue simplement toute forme de sentiments pour viser les émotions. Les plus brutes, celles qui prennent naissance au creux du ventre et court-circuitent le cortex. Elle touche donc en profondeur, elle s’insinue et on finit par s’y perdre. Les pièces se fondent les unes dans les autres, elles semblent ne jamais s’arrêter quand l’ensemble frise à peine les quarante minutes. Quand la fin arrive, elle est abrupte. Bardé d’un attirail de matériaux destinés à rendre sa musique plus vibrante encore – cailloux piétinés, tamis, cymbale frottée, tôles – le duo donne l’impression d’à peine contenir ce qui sort de ses doigts. Comme s’il était le média d’un flot indomptable qui ne demande qu’à sortir : Sanglier et ses cris, Des Feux et ses zébrures de slide corrosives mêlées d’harmonica fantomatique, Etrangé qui suit exactement le même chemin, Fourches et ses neuf minutes proto-industrielles superbement mal dégrossies, Friches et sa lente agonie. Tous dessinent les contours d’un pavé d’émotions brutes, palpitant et hypnotique. Les choses étaient déjà bien posées lors du précédent, elles ne s’arrangent pas avec Basses Terres et ça tombe bien, ce n’est surtout pas ce qu’on leur demande. Le son est toujours aussi crade et envoûtant, la Gretsch baryton continue à gronder au même titre que la voix, les contours demeurent bien noirs et écorchés, ils peinent à  contenir les lames de fond grondantes qui pullulent de gerbes de vie.

C’est finalement ce que l’on retiendra en premier lieu de cet objet sonore : ce que l’on trouve au creux des sillons, c’est la boue et c’est la vie. Disque-écosystème qui donne l’impression d’avoir branché la platine directement sur les frondaisons, on y entend le son de la faune et de la flore passé par le prisme de l’humain. Superbement emballé sous une pochette en carton sérigraphiée, l’objet provoque de sacrés remous et fait vibrer des zones tellement enfouies et fondamentales que l’on avait fini par les oublier.

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