Convulsif – IV

Un titre habité, d’emblée, pour poser le décor. Deux minutes de nappes anxieuses qui enferment de suite. On reconnait certes Convulsif mais ce n’est plus tout à fait la même chose. Hunting For Teeth se montre bien plus souterrain et solennel que l’ensemble de CD3 où, pourtant, ces sons-là n’étaient pas exclus. Sur ce titre, on dirait qu’ils expérimentent la tension, un long crescendo vers une explosion paroxystique qui n’arrive jamais. Le violon se contorsionne en volutes abstraites et déploie ses ramifications aiguës sur le substrat plombé de la clarinette. Celle-ci finit de toute façon par quitter le parterre pour faire jeu égal avec le reste. La basse et les baguettes comme seuls repères d’une circonvolution inquiète, longue de presque neuf minutes mais allant pourtant à l’essentiel. Une entame parfaite parce qu’elle impressionne. Mais chassez le naturel et cætera, le suivant est bien plus prototypique : violent, ramassé, du blast beat en veux-tu en voilà, des échardes de noise qui volent dans un nuage de grind. Why Hide, lui aussi, impressionne. Pour le suivant, on est encore ailleurs, la répétition maladive appose son empreinte sur le cortex. Toujours inquiet, le morceau bégaie mais reprend le climax du premier en tergiversant sur un crescendo métamorphe et grouillant. Two Of A Kind comme les deux autres, impressionne. IV pourrait s’arrêter là, il serait déjà parfait, les cinq suivant sont pourtant du même acabit. La tension ne retombe jamais, la violence – larvée le plus souvent mais aussi parfois purement frontale – non plus et on quitte une pièce à regret en étant pourtant impatient d’entendre la suivante. On ne dira pas que Convulsif a fait un grand pas en avant, les précédents étaient déjà haut perchés, mais il semble que sur celui-ci, l’entité suisse manipule plus précisément ses émotions ou les laisse en tout cas affleurer à la surface et son impact s’en trouve amplifié.

Toutefois, la singularité de Convulsif naît une nouvelle fois de l’éventail des instruments sollicités : un violon, une clarinette, une basse et une batterie, les sons saisis à la volée amplifiés, triturés, malmenés pour construire la sombre architecture et la dynamique heurtée des morceaux. De prime abord, on a du mal à reconnaître qui fait quoi et comment se distribue la largeur du spectre. La clarinette peut se montrer incisive ou rampante, le violon peut construire un mur massif ou, au contraire, disloqué, la basse ne se contente pas de tapisser, elle cogne aussi et la batterie accompagne autant qu’elle mène. Il y a déjà beaucoup à faire lorsqu’il s’agit de détailler les interventions de chacun, de cerner les soubassements du chaos, pourtant IV se double d’un autre niveau de lecture pour peu que l’on prenne de la hauteur et que l’on ne tente plus de comprendre mais seulement d’écouter. C’est bien ça qui lui apporte toute sa densité et son aspect monolithique alors que l’on voit bien qu’il est bâti sur l’altérité. Son empreinte est complexe. Y compris stylistiquement : l’expérimentation est toujours de mise mais le black metal largement convoqué jusqu’ici se montre plus discret, toujours présent mais dans les interstices, il en va de même pour les enclaves purement grind qui apparaissent par petites touches abstraites dans le maelström environnant mêlant doom, drone, ambient et même jazz. Ce qui fait qu’au final, en cherchant des adjectifs à même de cerner au mieux tout ce qui fait la force de IV, on se retrouve – une fois n’est pas coutume – face à une palanquée d’oxymores : homogène mais échantillonné, sommaire mais détaillé, irrésistible mais retors. Preuve que Convulsif atteint-là le parfait équilibre entre moyens et intentions.

Toujours mené par la basse de Loïc Grobéty autour de laquelle s’articule le même line-up que sur CD3, on sent bien que Convulsif dompte de mieux en mieux l’entropie dont il est à l’origine. En reprenant les mêmes éléments que le précédent, le collectif va pourtant encore plus loin. Pas un pas en avant mais un sacré épaississement qui fait impatiemment attendre la suite. Pour l’instant, on retournera se perdre dans les méandres de Solemn Creature, Reason Of Sleep et tant d’autres jusqu’aux déflagrations finales aussi percutantes que concises d’Everyone Will Fail. Trente-sept minutes qui ne relâchent jamais leur étreinte autour de votre cou et s’emparent de votre cortex pour y apposer leur message au fer rouge.

Chapeau bas !

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