GR – Propel Tension On Polyester Base

Propel Tension On Polyester Base est avant tout un document. Treize morceaux tirés d’archives que l’on imagine conséquentes, piochés dans la masse entre 2008 et 2016. Treize morceaux dont certains ont rapidement trouvé leur version finale (ou en tout cas, celle que l’on entend ici) quand d’autres se sont construits sur plusieurs années. Treize morceaux enfin où la variété est de mise.

On reconnaît certes immédiatement le vocabulaire de la guitare – toujours étonnamment bavarde et dans le même temps, toujours étonnamment maîtrisée. De prime abord, on croit entendre une logorrhée de notes qui coule à grands flots mais pour peu que l’on tende l’oreille en faisant abstraction du reste, on se rend bien vite compte que rien n’en dépasse. Et puis, elle n’est pas partout présente. Elle s’efface parfois devant l’orgue ou la batterie, les triturations des micros ou les multiples effets qui voilent l’ensemble. Parfois on a l’impression d’avoir entre les oreilles un recueil de folk songs débarquées directement de temps reculés et des Appalaches (Down The Hidden Shade). À d’autres moments, c’est rock’n’roll et freakbeat toute, accents sauvages et distorsion conquérante (les deux épisodes Vertical Take-Off) et à d’autres moments encore, on cingle plutôt dans la Kosmiche intersidérale (Altostratus) mais la plupart du temps, en fait, on ne sait pas trop où l’on est (A Flickered View Negative, Quarter Inch Creaks et quelques autres). Si ce n’est, bien sûr, dans la psyché de Gregory Raimo, alias GR, le cerveau, les jambes et les doigts qui manipulent absolument tout durant la moindre seconde d’un disque peut-être court mais qui envoie surtout valdinguer bien loin les concepts d’espace et de temps.

Propel Tension On Polyester Base, c’est la musique de GR dans son versant le plus expérimental. En ça, on le rapprocherait à brûle pourpoint de l’inaugural Xperiments From Within The Tentacular. Toutefois, le côté très fragmenté rappelle aussi Full-Blown Expansion quand les accents fuzzy-plombés ramènent à A Reverse Age ou The High Speed Recordings, voire aux Gunslingers. Bref, c’est bien la discographie de GR que l’on retrouve toute entière contenue dans celui-ci mais présentée de façon plus radicale encore. Il faut d’abord l’écouter à fort volume pour en saisir toutes les subtilités. Magnétophone à bobines, guitare, basse, batterie, orgue et j’en passe s’imbriquent, s’entortillent, s’emboîtent, font souvent jeu égal ou se toisent et forment des créatures sonores tour à tour hirsutes et énigmatiques. On comprend pourquoi certaines ont demandé plusieurs années de façonnage. À l’image de ce Vertical Take-Off Part 1 & 2 – serpent contorsionniste et fuselé à la structure mouvante où tout s’amoncelle – ou du morceau éponyme qui, sur une base grouillante mêlant batterie féline et drone circulaire, habille l’orgue de multiples effets l’envoyant depuis les limbes jusqu’à l’espace lointain. Il y a aussi des choses plus immédiates, Shock Degrees presque harsh au tout début qui se transforme petit à petit en kraut inquiet ou Down The Hidden Shade, belle chanson à poil hantée par une voix lointaine au yaya toujours singulier.

Finalement, ici, on leste le prototype de nouvelles strates de bruits – cut-up impromptu, sons indéterminés, manipulations chirurgicales des bandes, accidents pas si accidentels – de manière à en épaissir l’empreinte et on creuse plus profondément des directions déjà empruntées auparavant. Propel Tension On Polyester Base est ainsi un disque où l’exploration est de mise. Celle, bien sûr, de celui qui en est à l’origine mais celle aussi de l’auditeur. On ne dira certainement pas qu’il faut lui laisser sa chance alors qu’il suffit simplement d’avancer en ouvrant grand ses oreilles : derrière ces treize occurrences, il y a de quoi approfondir longtemps. Et c’est bien là l’une des grandes réussites de ces «Tapes Archives» : faire en sorte de ne jamais sacrifier la musique sur l’autel de l’expérimentation. Point d’onanisme, encore moins de vacuité, il y a toujours là-dedans un truc qui nous prend par l’épaule et empêche de rester esseulé sur le bord du chemin : une basse vibrante qui enveloppe (Vertical Take-Off), un tapis rythmique aux dislocations inattendues (A Flickered View Negative) ou une mélodie qui apparaît sans crier gare au sein d’un environnement par ailleurs désarçonnant (Ritual To The Decadent).

On ne saura jamais trop vous conseiller d’y prêter une oreille attentive et par extension, à tout ce qu’a sorti GRPropel Tension On Polyester Base constituant in fine une belle porte d’entrée vers un univers qui reste encore trop honteusement souterrain par ici.

Brillant.

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