Oikos – The Great Upheaval

Ravaged, Burned, neuf minutes et quelques d’errance contemplative. Oikos – désormais Rafael Femiano, seul maître à bord – ne pouvait commencer The Great Upheaval autrement. Porté par une mélodie magnifique, le morceau se compte en heures et enferme complètement. La guitare liquide occupe les devants, répète à l’envie ses notes et cache difficilement un arrière-plan qui, petit à petit, devient menaçant quand les percussions, très ténues, apparaissent et renforcent le drone inquiet qui finit par envahir tout l’espace. C’est lent, très lent, et solennel. Oikos garde la même empreinte et refuse toujours de choisir entre ombre et lumière. L’une met toujours l’autre en exergue et si l’autre vient à disparaître, il ne reste plus rien du pouvoir étrange de l’une. Une symbiose parfaite qui suggère beaucoup. La grande nouveauté, c’est que le côté abrasif d’Oikos s’est dilué. Avançant sur les traces d’un Earth tout nu, les éléments qui jusqu’ici venaient salir l’ensemble – larsens, frottements divers et accents industriels – se sont arrondis et deviennent presque imperceptibles. En revanche l’inquiétude perdure, portée le plus souvent par un drone métamorphe et finement travaillé. The Great Upheaval s’inscrit alors sans peine dans le sillon de ses aînés. Le côté Janus toujours présent, la musique d’Oikos conserve ses paradoxes et donc, son étrangeté. D’ailleurs présentée comme «an imaginary soundtrack for every moment in history ravaged by violence and superstition», la collection de morceaux remplit parfaitement son rôle. Il suffit de fermer les yeux pour être projeté ailleurs. Très minérales, les pièces s’arc-boutent sur un usage maîtrisé de la répétition et quoi qu’elles fassent, on les suit sans résistance aucune.

La construction du disque est elle-même très scénarisée et très symétrique. Après une entame qui prend le temps de poser le décors, on se meut dans les paysages sonores patiemment érigés en suivant ce que nous dicte la musique tout en ayant l’impression d’avoir une emprise sur elle. On l’écoute mais dans le même temps, on la vit et on ressent en permanence le grand bouleversement promis par le titre. Les deux premiers morceaux sont gémellaires et s’appuient sur la même mélodie solaire si ce n’est que le second met en avant le drone qui naît au cœur du premier. La batterie féline de Felipe Pavón fait des merveilles en accompagnant la mue de Manace And Portent qui voit soudainement sa peau de lézard tannée par le soleil s’hérisser de massives épines. Même chose du côté de Joik : d’abord alertes, les baguettes suspendent leur mouvement en même temps que le morceau lévite dans les airs avec pourtant une ossature de drone plombé. Une transition vers les dix minutes magnifiques de Marrow And Prayer – la pierre angulaire, le film dans le film – mini-épopée aussi sombre que céleste qui reconfigure l’espace et le temps dès sa sortie des enceintes. Oikos y expose son versant le plus psychédélique et le disque atteint alors des hauteurs insoupçonnées, hantées par le chant (et les libations apprend-on dans les crédits) étouffé et à peine perceptible d’un Xavier Castroviejo en transe. Il faudra d’ailleurs qu’Arch mute également pour que The Great Upheaval regagne la terre ferme. Sombre et lourde, cette ultime pièce vient clore le disque dans un martèlement qui inocule sa pulsation à l’ensemble du corps. Encore une fois, ce disque, on le vit, on le ressent sous l’épiderme, on vibre avec lui.

À des années-lumière d’Ecotono et Solve Et Coagvla, Oikos reste pourtant fondamentalement le même. Sans cesse partagé entre une émotion et son exact contraire, il met en avant une certaine simplicité trompeuse alors que l’on voit bien comment tout s’enchevêtre et tout se bouscule. Parfaitement résumé par sa très vivante pochette – «Wild Horses. Smoke Creek Desert, 1951» par un certain Gus Bundy – le disque ramène étrangement à l’écriture viscérale d’un Cormac Mc Carthy. Sadressant tout autant à la tête qu’aux tripes, ce n’est pas encore avec celui-ci qu’Oikos frôlera l’anecdotique.

Grand.

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