C’est qu’en plus d’une esthétique toute personnelle,
Déroutes Sans Fin résulte d’une démarche qui ne l’est pas moins. Pour bien expulser ce que l’on a en soi, sans doute faut-il réduire les intermédiaires. Et d’intermédiaires, ici, justement, il n’y en a point. Le groupe et rien que lui. Les morceaux, l’artwork, le mixage, le financement participatif (bien que quelques labels soient, in fine, convoqués –
Kaosthetik Konspiration,
Ocinatas Industries,
Necrocosm,
Seventh Crow et
Désordre Nouveau – mais il s’agit de «
collaboration plus que de coproduction« ), il n’y a bien que le mastering qui a été confié à une tierce personne. Tout le reste est du fait de
Saison De Rouille. Non seulement à poil dans sa musique mais à poil dans ce qui l’entoure. C’est peut-être bien ça qui touche le plus, qu’une entité à tel point rugueuse et renfrognée puisse également se dévoiler complètement, sans fard et sans pudeur. C’est qu’il émerge de
Déroutes Sans Fin une forme de courage, sans doute ce fameux truc impalpable qui pousse à renouveler l’écoute. Un peu voyeur, on finit par se fondre en lui et par laisser tous les accidents révéler toute leur pertinence. Oui, c’est sale, glauque et mal foutu, on est même parfois un peu gêné par la voix et les paroles qu’elle déclame sans passion excessive comme un robot qui vit ses derniers tours de circuit. C’est une gêne qui ne vient toutefois pas d’un quelconque embarras face à
Saison De Rouille mais plutôt de notre attirance pour un truc pareil, ces «
Je retrouve mes esprits, mais aussi toute ma douleur enfouie » ou «
La folie me guette, je hurle à chaque virage » disséminés ici et là, au détour d’un riff disloqué ou d’une cavalcade fatiguée.
Saison De Rouille ne rigole pas et a tôt fait de communiquer son univers décharné. Si bien que très vite, nous non plus, on ne rigole plus. Dans ces conditions, difficile d’extirper un titre plutôt qu’un autre.
Déroutes Sans Fin s’envisageant plutôt comme un tout monolithique, crade et sans la moindre once de luminosité. Tout est posé dès le triptyque inaugural des
Lande I,
II et
III, sorte de road-movie patraque pour mort-vivant : les râles virils et agonisants, les riffs oxydés et flous qui s’élèvent difficilement au-dessus d’un parterre de rythmes roides et répétitifs, de discrètes nappes de clavier bien dark appuyant le tout, il n’en faut pas plus pour que l’amalgame noisy-blues métallique et abstrait du trio (
Karl S.,
Sébastyén D. et
Laurent B.) prenne corps entre nos oreilles et derrière nos yeux.
Ferrugineux et déroutant, encore une fois, tout était dit dans la première phrase.