Sum Of R – Orga

Orga est seulement le troisième album de Sum Of R depuis 2008. Presque dix ans d’exploration et de recherche tous azimuts, à traquer les plus sombres recoins de l’ambient et de la psyché humaine. Presque dix ans à polir sa mystique et ses idées noires pour les faire tenir toutes entières dans sa musique. Et aujourd’hui, Orga. Une presque heure exclusivement instrumentale à l’étrange beauté, partagée entre solennité et rêverie. Partout, les reflets anthracites dominent, le rythme frôle l’immobilité mais pourtant, au milieu de tout ce noir, la lumière se crée. D’où l’oxymore d’un album tout à la fois complètement sombre mais aussi parfaitement solaire qui apaise autant qu’il désespère. On ne peut être surpris quand on sait que derrière Sum Of R se tient Reto Mäder, acoquiné pour l’occasion à Fabio Costa. On retrouve dans Orga une forme de majesté ramenant à Ural Umbo, ce goût pour le clair-obscur croisé auparavant chez RM74 et l’étrangeté de Pendulum Nisum. Le duo puise toutefois sa singularité dans l’apaisement. C’est bien ce qui prédomine ici : Sum Of R ne s’emballe jamais et développe patiemment ses idées, laissant se succéder les estampes sonores qui dessinent une longue errance dont il est difficile de s’extirper. Tout y est pesé, millimétré et les mouvements coulent délicatement les uns dans les autres, on perçoit à peine les limites des morceaux et en même temps que l’on écoute le disque, on voyage longuement à l’intérieur de soi.

C’est le grand truc d’Orga, ça. Chaque titre développe son propre film alors qu’on a l’impression d’un grand tout. C’est une image constituée d’une multitude d’images qui en décuplent l’impact et on ressent beaucoup. C’est loin d’être de l’ambient au kilomètre et bien qu’ils se taisent, ces deux-là ont beaucoup à raconter. L’écoute est donc fatalement exigeante. Distraite, elle donnerait l’impression d’un joli papier peint sonore, inutile et vain. Mais pour peu que l’on s’accroche et c’est une toute autre histoire où les fantômes sont hirsutes, les chœurs inquiétants et les rituels, désolés. We Have To Mark This Entrance, le sublime (et bien nommé) Light & Dust ou le glacial Let Us Begin With What We Do Not Want To Be – mais il en va ainsi de chaque titre – frappent tous par le soin infini dont ils témoignent : l’enchevêtrement des nappes et des percussions, les bruits divers rendant les angles saillants, la grande altération de l’ensemble, le souffle lointain, l’accumulation en strates et le silence dans les interstices. Si la musique provoque l’errance, elle n’est absolument pas le fruit du hasard et on imagine sans peine les heures passées à sculpter les sons pour, d’une boue quelconque, en faire des idoles magnétiques auxquelles on finit par vouer un culte abstrait. Encore une fois, Sum Of R emprisonne. Sum Of R sidère et hypnotise. Il redistribue les synapses, altère les idées. Il manipule, non seulement la masse sonore mais aussi l’encéphale. On habite Orga puis il nous habite à son tour, dans un va-et-vient continu et singulier.

Reto Mäder et Fabio Costa érigent une architecture hirsute, exigeante mais jamais retorse, la saleté jamais loin mais la beauté plus près encore. Leur musique peut paraître désincarnée alors qu’au contraire, elle charrie nombre d’émotions souvent contradictoires. Au final, on n’écoute plus Orga, on le vit.

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