Terra Tenebrosa – The Reverses

The Reverses, nouvel album de Terra Tenebrosa, s’inscrit dans la continuité de ses deux prédécesseurs tout en rompant quelque peu le continuum : toujours aussi étrange, glauque et malsain, il est aussi bien plus structuré qu’auparavant et bénéficie d’une production qui permet désormais de détailler toutes les strates du chaos. La masse grouillante naît d’un amalgame aussi foutraque que construit : voix tordue(s), guitares malades, batterie à l’agonie, nappes anxieuses et bruits indéterminés s’agrafent miraculeusement et donnent, on ne sait trop comment, de vrais morceaux. Franchement dégénérés certes mais tout de même bien carrés. Une rigueur dans la déliquescence qui permet à Terra Tenebrosa de ne jamais tomber dans la surenchère et le grand guignol. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il joue, on croit aux délires pas nets du Cuckoo. Sans doute y croit-on aussi parce que, justement, pour lui, ses délires n’en sont pas. Ainsi, tout ce qui sort de ses doigts sonne irrémédiablement désespéré et sa musique apparaît comme profondément cathartique (enfin, en tout cas, on l’espère pour lui). Les idées qui en sont à l’origine sont tout simplement noires et poisseuses et écouter The Reverses, c’est entrapercevoir la psyché du leader et seul maître à bord de Terra Tenebrosa. Et la musique dans tout ça ? Elle est tout simplement à tomber. De l’entame à la toute fin, on est empêtré dans un maelström sordide et furibard où les coups de semonce déglingués succèdent aux comptines malades, où la rage se frotte au dégoût (de soi, des autres), où le noir se superpose à l’encore plus noir. Rien, absolument rien pour relever la tête et reprendre son souffle, c’est une apnée en eaux lourdes, glaciales et profondes dans lesquelles la lumière n’osera jamais balancer le moindre photon.

Après un court Makoria d’ouverture déjà bien disloqué par les voix multiples du Cuckoo, The Reverses entre dans le vif du sujet avec le terrifiant et bien nommé Ghost At The End Of The Rope : riffs dégueulasses, chant habité et trafiqué, partagé entre râle contrit et growl d’outre-tombe (que l’on doit à MkM d’Antaeus et Aosoth), basse démonte-pneu (tenue ici par Alex Stjernfeldt de The Moth Gatherer) et lourdeur extrême, le tout se concluant subitement par un court drone tout aussi inattendu qu’inquiet. Plus loin, The End Is Mine To Ride, Marmorisation ou Where Shadows Have Teeth fraient dans les mêmes eaux poisseuses, confrontant masse grouillante en-dessous – riffs massues, bandes trafiquées qui semblent tourner à rebours, batterie souvent tribale, voix aliénées – et guitares aussi enluminées qu’illuminées au-dessus. L’atmosphère est lourde et ostensiblement morbide, les morceaux ne s’en déparent jamais même lorsque la furie s’apaise et laisse la place à une comptine terrifiante. C’est Exuvia et ce sont aussi, sans doute, les six minutes les plus dérangées : la mélodie est pure et entêtante mais tout ce qui l’entoure se trouve à l’opposé, la voix s’étrangle, rampe, racle, râle et The Cuckoo finit par cracher littéralement sur son micro, une cohorte de bruits malaisés l’accompagne puis les guitares barbelées et les nappes anxieuses rejoignent l’écorché. C’est tout aussi beau que dérangeant. Le tout de se conclure sur les très black dix-sept minutes de Fire Dances qui voient Vindsval hanter l’œil bien noir du cyclone. «Éclaire ce monde avant que tout ne brûle» propose-t-il au milieu du maelström mais tout l’album (et tout Terra Tenebrosa serait-on tenté d’ajouter) montre bien qu’il est déjà trop tard. S’ajoutant aux déjà incontournables The Tunnels et The Purging, déclinant la même vision sombre et asphyxiée au diapason d’une musique qui l’est tout autant, les explorations menées jusqu’ici montrent avec The Reverses leur visage le plus ordonné, tout en restant irrémédiablement black, noise et expérimentales.

Debemur Morti Productions a une nouvelle fois eu le nez creux en ouvrant son catalogue à cette émanation de Breach. Bien sûr, musicalement, ça n’a toujours rien à voir mais on retrouve pourtant le même jusqu’au-boutisme, le même talent au service d’une musique parcourue de soubresauts à tel point intimes qu’elle ne paraît s’adresser qu’à soi. Dès lors, rien n’y fait : l’ensemble a beau se montrer revêche, malsain et pas drôle, on ne peut s’empêcher de retourner scruter le masque de Terra Tenebrosa pour tenter de cerner ce qu’il cache au-dessous.

Fascinant.

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