AUA – I Don’t Want It Darker

Voilà un album qui aura pas mal rythmé mon été. Ne s’accordant que très modérément au mercure délirant mais pas franchement rafraîchissant non plus, il avait néanmoins le gros avantage de faire apparaître un ciel de traine voire de gros nuages noirs sitôt lancée l’écoute. Bon, rien de réellement hyper-sombre non plus – au moins, le titre annonce la couleur – mais une belle capacité à tout repeindre en gris et a balancer une forme assez étrange de légèreté dans un contexte par ailleurs (et à tous les niveaux) infiniment plombé.
AUA donc, duo allemand (Henrik Eichmann et Fabian Bremer) et I Don’t Want It Darker, son premier album qui, je l’espère, en appellera quelques autres. Profession de foi, pied de nez à Leonard Cohen ou n’importe quoi d’autre, le titre correspond en tout cas parfaitement à l’amalgame électro-kraut pratiqué ici. Tout y est question d’équilibre. Rendant l’ensemble impossible à saisir. C’est tout mou, limite invertébré (les nappes ethérées) mais pas du tout en fait (l’élégant vibrato de la guitare fournit quelques angles, caisse claire et charleston sont pas mal sollicitées, les pulsations s’emballent parfois d’un coup). C’est sombre mais plutôt solaire quand même. C’est clairement de la pop (les mélodies ouvragées ici et là) mais ça n’en est carrément pas (bien trop flou, bien trop cosmique). C’est assez affligé mais jamais résigné. C’est un peu tout mais dans le même temps, jamais son contraire. Bref, la musique d’AUA se dérobe instantanément quand on tente de la cerner.
En fait, c’est plutôt elle qui nous cerne. Impossible de s’en défaire une fois rentré dedans : son côté extrêmement aéré qui paradoxalement appesantit les morceaux en leur fournissant une étrange substance, la tension inquiète qui parcoure le disque, le flou qui prédomine et la discrète vibration kosmische qui n’en reste pas moins bien réelle poussent à multiplier les écoutes. I Don’t Want It Darker ménage quelques gros moments qui malaxent le cortex mais tout autour, c’est au minimum excellent et on se sent très bien dans ce disque qui ne semble parler qu’à soi.



D’emblée, ça happe avec la paire Friendo / éponyme : guitare réverbérée et classieuse, voix lointaine, arpeggiator se muant en vagues extra-terrestres et surtout, mélodies qui se ruban-adhésivent à la peau. C’est tout sec et économe mais ça procure néanmoins un effet boeuf. Starstruck capitalise quant à lui sur le voyage nébuleux via ses claviers cosmiques mais franchement inquiets. Le reste est à l’avenant et navigue à vue entre ciel et terre. Parfois, ça s’élève bien haut dans le tout noir galactique (l’intro du très ténu The Energy Vampire), parfois, ça s’enfonce dans les tréfonds (le très capitonné Glowing One) mais c’est souvent entre les deux et ça donne des morceaux tout à la fois fantomatiques et charpentés : le bel éponyme (et son prophétique «If I look, I see the saddest things / If I listen, I hear the saddest things / If I dream, I’m in the saddest dream»), le très sec Coke Diet ou encore le plus long et renfrogné Umami Karoshi au thérémine hanté qui vient clore idéalement le disque.
Un disque toutefois un peu court mais du coup exempt de déchets (juste peut-être un peu moins convaincu par ce No Treatment un poil convenu) et au charme ravageur. Pour un premier album, AUA touche juste et je reste assez estomaqué par la capacité du duo a faire naître des images dévastées dans ma boite crânienne : une sorte de plénitude post-agonie, de beaux tableaux qui figureraient des paysages atomisés, ce genre. Une musique oxymore, douce mais viciée, entraînante mais moribonde, désincarnée mais infiniment triste, qui semble aussi légère qu’un flocon de neige mais renfermant toute la lourdeur d’une époque flinguée.
Un amalgame très maîtrisé – il faut dire que ces deux-là se côtoient de longue date puisqu’ils constituent la moitié des dark-jazzeux/rockeux-pour-faire-vite de Radare dont on retrouve ici et là quelques réminiscences – et très resserré dans le temps, parfaitement résumé par sa chouette pochette retro-futuriste métastasée (réalisée par Mihailo Kalabić, designée par Fabian Bremer qui, en passant, s’occupe également de celles d’HEADS. dont le bassiste, Chris Breuer, gère justement le label sur lequel cette petite pépite vient de paraître).

Étrangement prenant.

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