Roly Porter – Kistvaen

La musique de Roly Porter constitue la synthèse de ce qui m’émeut encore dans l’électronique après des années à en avoir arpenté les méandres et ramifications. Elle m’apparait comme une évidence tantôt éreintante, souvent teintée d’ambivalence, mais pour ma part toujours bien loin d’un horizon de subjectivité. Je ressens toujours une excitation intacte à chacune des sorties du Bristolien, car malgré l’esthétique désormais bien reconnaissable de sa musique, il reste incontestable que la narration prend toujours un chemin différent, et surtout inattendu. Les mots ont d’infinies significations, et le spectre sonique de Roly Porter en est une singulière illustration.

Les morceaux de Kistvaen ont été composés dans le cadre d’une performance audiovisuelle en collaboration avec Marcel Weber (MFO), tout deux visiblement indissociables. Allez les voir en live si vous en avez l’occasion, l’expérience en vaut la peine. En dépit de la thématique de l’album (qui tient son nom des tombes formées de dalles de pierre découvertes notamment à Dartmoor et datant de plusieurs millénaires), Kistvaen n’est pas une ode au macabre mais creuse des interstices à même le silence pour y excaver des harmonies en larges nuances de sépia.

Le disque est découpé en instants clés amorçant un pas de plus dans ce glissement vers un « après » fantasmé, débutant au rituel et qui se conclut par la mémoire figée dans la roche.
Cette universelle et intemporelle épreuve, et le caractère explicite des titres tendent à rendre l’album bien plus abordable et expressionniste qu’il n’y paraît. La structure est intelligemment construite car elle nous permet de modéliser une vision précise en lui insufflant puissance, incertitude et espoir, matérialisés en un lavis d’ambivalence émotionnelle bien senti. On regrettera quelques longueurs çà et là, et un mix peut-être un tantinet simple, mais rien de tout ça ne gâche l’immersion ou n’entrave le propos.

En revanche on se délectera toujours avec le même plaisir coupable de ces drones cataclysmiques cisaillés et burinés à même le nerf (Burial), et il demeure difficile de rester de marbre face aux lentes montées en puissance du très réussi An Open Door ou du progressif – néanmoins jouissif – Passage qui, passé le premier tiers, se mute en une entité inénarrable construite en raz-de-marée successifs complètement fous. Incontestablement le pic de l’album, qui fait écho aux premières lignes de cette chronique qui en a déjà bien assez dit.

Chaque titre se passe de détails, le silence prime sur ces moments qui ne requièrent pas de mots. Kistvaen est un périple en obscur/clair qui questionne le rapport à l’après, quelque soit l’époque. À l’image de la photographie qui l’accompagne, Kistvaen ne sera jamais tout à fait sombre, ni lumineux, simplement brut et taillé à même la matière. Roly Porter est toujours aussi pertinent dans son approche conceptuelle – pas si absconse – et son rapport au monde, et il nous reste à espérer que les salles de concerts pourront bientôt rouvrir pour décupler son potentiel.

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