Varsovie – Coups Et Blessures

Aujourd’hui, on va parler post-punk urgent et rock ombrageux. On va s’accrocher au ciel de traîne et se noyer sous des tombereaux de pluie noire. Et on va sans doute aussi se demander pourquoi on reste à ce point agrafé à quelque chose d’aussi connoté. Coups Et Blessures est le troisième album de Varsovie et garde intact le paradigme stabilisé depuis État Civil (2010, on écarte le très court éponyme de 2005 et le tout aussi court Neuf Millimètres de 2006 où tout était encore en devenir) : guitare meurtrie et nerveuse, batterie musclée et nerveuse, basse arachnéenne et nerveuse (légèrement plus en retrait par rapport au précédent toutefois) et textes lettrés et nerveux déclamés en français. Toujours une demoiselle allégorique sur la pochette. Toujours le Drudenhaus Studio à Nantes comme lieu de captation (avec Benoît Roux aux manettes). Tout est à sa place et dans l’exacte lignée de L’Heure Et La Trajectoire (2014). Si ce n’est que cette fois-ci l’album arbore le logo de Sundust Records (les précédents étaient sortis sur Those Opposed Records dans leur version vinyle) que l’on retrouvait également il y a deux ans sur la pochette du toujours brûlant Orphans Of The Black Sun de Mütterlein. Même si leurs musiques respectives n’ont vraiment rien à voir (ainsi que leurs desseins probablement), il y a tout de même quelques traits communs entre les deux entités : la même noirceur atavique et la capacité à habiter complètement les morceaux. On ne s’étonne donc pas de retrouver Varsovie sur le label créé par Vindsval de Blut Aus Nord et Phil de Debemur Morti Production. Frontal et monolithique, le post-punk de Grégory Catherina (chant, guitare) et Arnaud Destal (batterie, c’est lui aussi qui écrit les textes) déploie toujours cette urgence jusqu’au-boutiste qui le fait aller du point A au B sans embardées. On sent bien que le duo n’oublie pas le versant punk de cette étiquette que l’on aime accoler à sa musique (sans doute à la va-vite) en lui empruntant sa tension permanente : pas de temps morts, pas de circonvolutions inutiles, droit au but et on passe au morceau suivant. En cela, on rapprochera Varsovie dans l’esprit – en plus que par son nom – de Warsaw (entre autres, hein, on pourrait aussi parler de The Sound ou de Bauhaus par exemple). Et puis, il y a ces mots. Alors oui, les Grenoblois chantent en Français et incorporent des accents littéraires à leurs invectives toujours bien troussées. Et déclament le tout avec beaucoup d’engagement (comme Marquis de Sade avant lui ou Noir Désir sans pour autant partager tant d’autres points communs que ça avec eux). De là à dire qu’ils le font avec maniérisme, il y a un pas que l’on ne franchira pas car ce que l’on entend ici est bien trop instinctif pour cela.

Coups Et Blessures commence par l’éponyme qui agrippe immédiatement. «Plaie ouverte / Paysage froid / S’interdire d’attendrir» comme une profession de foi. Le morceau, nerveux et racé,  file vite et s’appuie sur une mélodie élégante qui se ruban-adhésive directement au cortex. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça commence fort et à peine a-t-on le temps de se rendre compte des intonations à la Bashung peuplant le refrain que c’est déjà fini. Place aux «Anastasia» d’un Revers De L’Aube – pas ce que l’on préfère d’ailleurs – exécuté pied au plancher. Il faudra attendre le suivant, Va Dire À Sparte, pour que les choses s’apaisent quelque peu. Ce qui laisse le temps de s’attarder sur le texte et ses diatribes scandées du bout des lèvres qui s’accorde bien à la vibration résignée de l’ensemble. Ce qui permet aussi de mesurer tout ce que la musique de Varsovie doit à ses mots et inversement. Débarrassé de l’enchevêtrement de l’une aux autres, ce post-punk fuselé se retrouverait sans nul doute amputé, claudiquant, pas complet et son impact s’amenuiserait drastiquement. Même lorsque le texte est réduit au strict minimum comme sur Chevaux Échappés, il n’en reste pas moins indispensable : un minuscule «Traverser des siècles pour en arriver là» qui suffit pourtant à habiter les quatre minutes du morceau. En outre, une nouvelle fois, Coups Et blessures, comme ses prédécesseurs, peut capitaliser sur son lot de tubes anthracites et ultra-efficaces : l’éponyme, on l’a déjà dit, à la hauteur du Lydia Lytvak de L’Heure Et La Trajectoire, Va Dire À Sparte, Le Lac (presque sautillant) ou encore l’ultime Feux s’inscrivent immédiatement sous la peau et nous ramènent à ce petit bout de plastique très noir plus que de raison. Plus de dix années à arpenter le même pré carré pour pouvoir en maîtriser toutes les dimensions, à prendre le contre-pied du Black Metal de Forbidden Site où ces deux-là ont commencé tout en en gardant tout de même quelques poussières gothiques et un soupçon de sauvagerie planqués au plus profond, à multiplier les bassistes sans diluer l’inspiration crépusculaire de l’hydre à deux têtes, à affiner la formule, à l’équilibrer pour aboutir aujourd’hui à Coups Et Blessures. Même pas leur meilleur disque, juste quelque chose d’obsessionnel, d’indispensable et d’un peu différent du précédent tout en étant exactement le même, probablement identique au suivant tout en s’en détachant. Et tant pis si l’ombrageuse entité en appelle à nos cellules les plus romantiques (celles qu’on n’aime pas montrer), elle les électrise et c’est tout ce qui compte.

Bref, celui-là aussi s’éternisera sur la platine.

Magistral.

 

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