L I T H I C S – Tower Of Age

O.K., on délaisse pour un temps les groupes de trois lettres (mais pour un temps seulement) et les premiers albums mais on reste dans le post-punk, dans sa version divagante, réactualisée et toute personnelle néanmoins, avec Tower Of Age, nouveau (et troisième) témoignage de LITHICS. Au menu, des morceaux bloqués sur un mid-tempo indéboulonnable, une plasticité à toute épreuve qui empêche la matière de rompre alors qu’elle est froissée, étirée puis recroquevillée dans tous les sens et une attirance certaine pour la sécheresse et l’abstraction. Rien à siffloter sous sa douche (au contraire des deux précédents) mais beaucoup à explorer et pas mal de choses qui s’insinuent durablement sous la peau.
Avec Tower Of Age, LITHICS donne l’impression de viser l’épure et ne montre aucune volonté de plaire ou de flatter l’oreille : son Mikado est brisé en mille morceaux puis réassemblé selon un dessin qui multiplie les angles, refuse les courbes et déteste la ligne droite. La basse bégaie, sautille, prend son temps, les guitares desséchées suivent en permanence des itinéraires inattendus, se répondent, s’engueulent, se complètent ou se foutent totalement l’une de l’autre, la batterie tapote, imperturbable et quelques boucles viennent encore corser l’ensemble. Seule la voix avance droit devant. Avec tout ça, les chausse-trapes et les embûches sont nombreux mais rien à faire, ça cueille.
On reconnait le groupe aisément – le son, sec et tendu, reste ce qu’il a toujours été – mais quelque chose a changé. Le paradigme n’est plus le même et la chouette chrysalide que l’on connaissait jusqu’ici libère aujourd’hui un singulier papillon géométrique. On ne s’y attendait pas, certes mais c’est très bien comme ça et on rejoint complètement Aubrey Hornor quand elle déclame «I’ve lived the age that shows / Far on horizon line that goes» tant LITHICS semble se recroqueviller en dedans pour remonter en pleine lumière les figures abstraites et les pensées complexes qu’il a au fond de lui.

Pourtant, rien d’abscons là-dedans. Ces morceaux ne sont pas que pour soi-même et on n’est pas totalement absent de l’équation du groupe. Les paroles sont imprimées sur l’insert, le post-punk près de l’os et tout en nerf préserve des criques accueillantes disséminées ici et là au fil du front de mer austère : Hands, Twisting Wine ou Mice In The Night en attestent et retrouvent par intermittence l’immédiateté d’avant.
En revanche, il y a aussi tous ces moments purement exploratoires où LITHICS largue les amarres et s’en va gambader ailleurs, à l’instar de A Highly Textured Ceiling, Snake Tattoo ou Cricket Song Through Open Window plus loin, voyant les tape loops s’entortiller autour du disque pour en altérer le rendu, basse et guitares suivre des azimuts incertains et chaloupés. On pourrait prendre ça pour des interludes vains et inutiles, des ersatz que le groupe pose là pour faire son intéressant mais pas du tout. Force est de constater que tout ça fait jeu égal avec le reste et précipite Tower Of Age hors du lit que LITHICS avait jusqu’ici creusé, préservant sa minéralité, accentuant sa sécheresse.
Capitalisant sur une ossature bien campée, le groupe se réinvente, balance une bonne pincée de poil à gratter sur ses traits principaux et s’en va tout droit vers les gros nuages hermétiques sans jamais s’y perdre complètement : Non, Victim’s Jacket, Tower Of Age et quelques autres sont joliment timbrés mais encore plus irrésistibles et le groupe, s’il fait parfois grincer les dents, est à l’origine d’un sourire de contentement qui ne quitte jamais les lèvres.
L’appropriation est complète, on y voit des trucs qui ne concernent que soi (à l’instar de la mappemonde de la très chouette pochette qui n’est évidemment pas une mappemonde) et qui sont sans doute très différents de ce que le groupe a voulu y mettre. Avec tout ça, difficile de rester de marbre : on écoute, on ressent, on s’emmêle au flux brisé, on se laisse aller en pure perte à analyser et donc, on revient fréquemment vers le disque.

Bref, un nouveau carton plein de la part de LITHICS qui, mine de rien, construit un parcours enchanteur et tout le temps surprenant.

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