Pour ma première chronique à la cave en près de 3 ans et demi, je cherchai un artiste qui se soit fait languir au moins aussi longtemps. Par chance, fouiner dans l’actu de l’excellent – et décidément productif, 68 références en 4 années d’activité sur les 100 prévues avant implosion – label cartographique de Mathias Van Eecloo aura suffi à mon bonheur puisqu’on y retrouvait le mois dernier le violiste Emmanuel Witzthum, musicien de l’Ensemble Intercontemporain fondé par Pierre Boulez ou encore de l’Orpheus Chamber Orchestra new-yorkais, qu’on ne connaissait en solo que pour les pièces pour crins et bidouillages électroniques de l’album Strings il y a 7 ans déjà.
Entre-temps, le même Eilean Rec. avait sorti en 2016 The Colour Of Sound, dernier opus en date de son duo électro-acoustique E And I avec Craig Tattersall, ex Hood croisé plus récemment du côté de The Boats ou The Remote Viewer et patron de feu Cotton Goods, écurie à laquelle on devait justement le Strings sus-mentionné, entre autres sorties d’E And I ou encore de Whisperer, side-project du bonhomme que l’on n’a pas encore eu l’occasion d’explorer.
Pour ce retour sous son véritable patronyme, l’Israélien nous parle donc d’amour et de deuil (amoureux ?) mais il met surtout en musique les sentiments qui l’accompagnent au fil des saisons de l’année, le choix judicieux d’ouvrir sur l’automne, époque de dépérissement par excellence, lui permettant de cheminer d’une mélancolie plombée à un semblant de sérénité retrouvée. Le spleen de Eyes Shut, Leaves. Lift In Winds Across. Autumn Skies n’en laissera pas moins des traces longtemps après que la galette ait fini de tourner tant les nappes de cordes neurasthéniques sous-tendues d’harmonies dronesques aux fréquences lancinantes y prennent leur temps pour installer sur 16 minutes faussement austères leur atmosphère de regret persistant et de chagrin intarissable, les nuages d’automne s’empilant comme les lignes de viole sans jamais déverser pour de bon leurs larmes de détresse au romantisme contrarié.
Car c’est sur Soft Rain Falls. Winter Solitude. At Night, Stil que la pluie finit par tomber, dans le recueillement affligé d’un hiver solitaire, au rythme entêtant des frottements baroques de l’archet, au son des profonds déchirements mélodiques de l’instrument dans le froid de la nuit, évoquant le néo-classique aux humeurs volontiers tragiques de Max Richter ou de feu Jóhann Jóhannsson mais sans jamais s’autoriser le genre d’élans cinématographiques qui ne feraient que déjouer ce sentiment poignant de douloureuse introspection et de repli sur soi.
Mais heureusement pour nos petits palpitants déjà bien meurtris à ce stade, Shy Fowers. Cloud Sighs, Clear Blue Sky. Breeze Turns Warm se fait ensuite plus chaleureux avec son lent pizzicato et ses frottements printaniers auxquels se superposent bientôt les onomatopées aux accents médiévaux du musicien, d’une douceur presque féminine par moments. L’enchantement d’un souffle de vie qui renaît, laissant enfin place à l’été et au dernier mouvement de ce poème musical en quatre strophes. Against Tree. Eyes Look To Sunset. In Summer, les trémolos d’un espoir frémissant, en 4 minutes tout est dit. Et aux deux-tiers du titre les cordes qui perdent enfin juste ce qu’il faut de leur retenue, laissant ce soupçon de lyrisme qui s’était tant fait désirer nous terrasser par sa parcimonie. Ce qui est rare n’est pas forcément précieux, cette chronique est d’ailleurs la première à en témoigner mais dans le cas d’Emmanuel Witzthum on attendra encore 7 années sans ciller, quitte à soigner deux ou trois peines de cœur supplémentaires à la flamme vacillante et non moins fervente de ce merveilleux disque mi-cathartique mi-salutaire.