Girls In Synthesis – Arterial Movements

Soyons concis pour coller au plus près de cet incandescent EP : Girls In Synthesis, trio anglais basé à Londres. Existe depuis 2016. Porté sur le punk, le post-punk et surtout sur la dissolution. Au napalm, à l’acide ou à tout ce qui peut être corrosif et ne laisse au bout du bout qu’un squelette.

Il faudrait parler directement d’Arterial Movements, dernier trois titres en date, mais pour ça, difficile de faire l’impasse sur la gargantuesque Pre/Post : A Collection 2016-2018 qui permet de se familiariser avec l’insurrection en cours. Regroupant trois EP (Suburban Hell, We Might Not Make Tomorrow et Fan The Flames) ainsi que The Mound / Disappear, single inaugural, elle suinte l’urgence, le séminal et en l’écoutant, on se croirait revenu dans les ’80s balbutiantes, l’espoir en de meilleurs lendemains en moins.
Quatorze titres molotov dont on regrette juste de ne pas saisir tous les mots à moins de parler couramment l’Anglais (et même). Ça ne va pas très vite mais ça ne dépasse jamais non plus les trois minutes sauf à la toute fin. Ça n’est pas foncièrement original au début (en gros, jusqu’à We Might Not Make Tomorrow) mais ça finit par devenir très singulier en cours de route (à partir de Fan The Flames), au fur et à mesure que la musique se densifie et nuance son punk, lui adjoignant une vibration moribonde décidément très actuelle.
Intensément claustrophobes, les morceaux gagnent en lisibilité petit à petit et finissent par abandonner leur habillage foutraque et abrasif d’où n’émergent quasiment que les voix pour quelque chose d’un peu plus (enfin, à peine) ciselé qui permet d’identifier tous les apports de la basse brutale (John Linger), du tchak-poum increvable de la batterie (Nicole Pinto) et du feedback conquérant de la guitare barbelée (Jim Cubitt), même si ça reste encore très largement abrasif.
Les deux voix s’épaulent – l’une chante les couplets (John), l’autre la rejoint sur les refrains (Jim) – et montrent beaucoup de conviction tout du long pour cracher un propos concerné (ça parle évidemment politique mais aussi nucléaire, corruption, délitement sociétal, arrogance et j’en passe). Tout autour, pas de fioritures, des larsens en pagaille, du labourage consciencieux qui rappelle de loin Bad Breeding et un sens inné pour faire ressentir aux éventuels auditeur.rice.s les ondes d’énergie pure qu’exsude le trio.
Parce que le grand truc de Girls In Synthesis, c’est de desquamer tout ce qui se tient devant. La moindre bombinette écorche, lacère et arrache des lambeaux de chair. Mais derrière le chaos, de très bons morceaux : The Mound, Solid Effect, Splinters And Rust, Fan The Flames, You’re Doing Fine ou le très surprenant (parce que plus policé) Internal Politics à la fin (entre autres) montrent un groupe capable d’organiser son entropie débordante pour la rendre encore plus retorse, sournoise, perturbante (Howling). Et surtout, derrière le côté très monolithique, le disque s’avère salement hypnotique. Vient donc un moment où l’on ne veut plus que ça s’arrête.



On voulait faire court mais c’est raté parce qu’il faut aussi parler d’Arterial Movements, nouvel EP sorti ce mois-ci, véritable objet de cette chronique. Et c’est encore une rupture. Le punk est devenu très très post même si le vitriol est encore bien présent.
En premier lieu, le magma bruitiste sonne beaucoup plus domestiqué. Ce n’est évidemment qu’une impression. Une écoute attentive montre que ça vibre encore de partout, que ça tabasse à qui mieux mieux et on retrouve ça et là les chœurs arrachés sur les refrains qui faisaient le bonheur de nombre de leurs précédents morceaux.
Néanmoins, tout paraît infiniment mieux rangé. On distingue facilement les lignes de basses arachnéennes et caoutchouteuses. La guitare est un plus ténue et se pare d’atours presque chimiques même si elle explose encore régulièrement. La batterie se montre moins rigide. La trajectoire exclusivement rectiligne s’arrondit jusqu’à louvoyer.
Bref, Girls In Synthesis s’est bonifié tout en gardant intacte sa grande urgence et sa vision désespérée d’une société à l’agonie où le collectif et la solidarité ne sont désormais plus que des légendes urbaines (« The only way I can engulf you is to have the upper hand on / I reduce you down to a spec, insignificant, worthless, nothing » sur Smarting).
Et puis, ce qui change aussi, c’est la place prépondérante laissée aux mélodies. Alors attention, toujours rien à siffloter sous sa douche mais quand même, une ossature apparaît là où auparavant ne trônait que la guerre avant que le minuscule It’s Over, Forget It (une minute et quinze secondes d’early-Buzzcocks) ne vienne brillamment contredire tout ça.
Ne s’attendre à rien avec ce groupe et donc s’attendre à tout.
Pour l’heure, ruez-vous sur leurs disques à-peine-édités-déjà-épuisés. Vrai symptôme de notre époque dégueulasse, Arterial Movements (et tout ce que le trio a pu sortir jusqu’ici) ressemble à un cri cathartique et donne bizarrement envie d’espérer : la rage et le réalisme plutôt que la résignation.

Vital. Jubilatoire. Incontournable.

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