Mamaleek – Out Of Time

Out Of Time est le cinquième album de Mamaleek et leur black singulier se montre toujours plus délavé, perverti, déviant, méconnaissable. Envolées, les guitares féroces – enfin pas complètement, on les retrouve encore ici ou là mais elles sont de plus en plus discrètes – quand le tissu électronique gagne lui en épaisseur, le breakbeat occupe également le terrain et l’exploration des folklores atteint des contrées de plus en plus éloignées, que ce soit dans l’espace (on continue à voyager beaucoup, de l’Asie au Moyen-Orient) ou dans le temps (des années 30 à la new wave). Étrange disque (comme d’habitude avec les deux frères anonymes) où les oripeaux extrêmes disparaissent – à l’exception notable du chant – mais pas la structure : anguleuse, disloquée, elle ménage un itinéraire sinueux et… extrême. On a souvent l’impression de naviguer à vue entre des fragments d’ébauches et des ersatz de morceaux, rien ne semble achevé, tout sonne en devenir et le duo semble vouloir toucher à tout, du hip-hop au jazz, du black au post-punk, du shoegaze à l’électro et j’en passe, si bien qu’on se retrouve très vite désorienté dans le disque même si le souffle morose voire douloureux qui recouvre la moindre parcelle de musique apporte ce qu’il faut de liant pour que le patchwork ne se délite pas complètement. C’est bien en cela que l’on reconnait immédiatement Mamaleek et qu’Out Of Time constitue in fine une étape logique dans le cheminement du duo. Beaucoup moins violent qu’il ne l’a été mais pas moins saisissant, il vise une forme d’épure et ce faisant, devient plus luxuriant encore. Mais bon, on n’en est plus à un paradoxe près avec ce groupe, le plus grand étant sans doute de se demander en permanence comment le soleil californien a pu accoucher d’un truc aussi désespéré.

If I Had This Time plante immédiatement le décor : He Never Spoke The Mumblin’ Word est désormais à des années-lumière mais on reste néanmoins dans la galaxie Mamaleek. Les notes élégantes de la guitare s’appuient sur une ligne de basse mortifère qui montre bien que les araignées sont toujours là et qu’elles n’ont nullement déserté la boite crânienne des deux frangins. Elles peuplent également une bonne partie de Sicarii et se manifestent par exemple dans son chant étranglé. Le morceau est tout à la fois beau (la mélodie obsédante, répétitive) et hideux (les sons grouillants, le soubassement approximatif) et on retrouve cette dualité sur beaucoup d’autres occurrences : Doomed Beast et son parterre orientalisant morcelé d’où s’extirpent quelques arpèges hypnotiques ou encore Where Is The Friend’s House et ses élans contradictoires le poussant tout à la fois vers le bas (les voix déformées) et vers l’avant (le breakbeat). Il y a aussi ces interludes étonnants qui déboulent sans crier gare, parfois entre les morceaux (Lapis Lazuli et ses cuivres iconoclastes) mais le plus souvent dans les morceaux eux-mêmes (l’électronique qui finit par envahir complètement God Is The Irrational Number par exemple). Enfin, il y a tous ces moments où Mamaleek refuse de choisir une direction, préférant les suivre toutes au même moment : The Recompense Is Real, My Master, My Father, My Author ou Absolute Knowing (entre autres) font feu de tout bois mais restent en permanence cohérents, partagés entre leurs élans ethno-décalés, leur breakbeat de l’enfer amalgamé à un blackgaze de plus en plus éthéré, l’électronique pure jamais loin non plus. Et encore, on ne s’en tient là qu’à quelques titres puisqu’il s’avère au final extrêmement difficile de décrire Out Of Time : il est un peu tout ce que l’on vient de dire ci-dessus mais il est surtout bien plus que ça.

Dans un cas comme celui-ci, le mieux est encore d’écouter. Quoi qu’il en soit, Mamaleek poursuit son chemin singulier, celui d’une expérimentation vibrante, à la beauté étrange, dont on ne peut se défaire une fois qu’on y a goûté.

Grand.

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