Quttinirpaaq – Dead September

Troisième album déjà et pourtant, toujours cette même sidération. Pas d’accoutumance, encore moins d’endurcissement face aux déflagrations sursaturées de la créature texane. Elles cueillent comme au premier jour, vrillent le cortex et écorchent les tympans exactement de la même façon. L’entité Quttinirpaaq est profondément barbelée et n’amalgame que du malaisé. Rien pour le confort de l’auditeur mais rien non plus de démonstratif. Ce n’est pas un concept, Matthew Turner ne cherche pas à effrayer le bourgeois, il ne joue pas un rôle, ne porte jamais des frusques qui ne sont pas les siennes. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait sans doute pas la même adhésion, ses morceaux resteraient à distance respectable et on se contenterait de posséder ses disques sans jamais les écouter. Il n’en est rien. Déjà, en 2013Let’s Hang Out ne s’était pas substitué à No Visitors, il s’y était superposé. Dead September fait de même aujourd’hui, il ne remplace pas le réseau mais le reconfigure et l’enrichit. Tout était déjà en place, les accents nouveaux viennent simplement densifier l’oeuvre. Et l’on se retrouve là, un peu penaud, à se demander pourquoi on s’inflige une telle punition, comment un tel arsenal dégueulasse peut nous maintenir captif quand on n’a jamais montré le moindre goût pour le masochisme. Un bel outil psychologique qui épaissit l’habitus. Une belle saloperie en réalité, Quttinirpaaq n’étant pas seulement agressif mais aussi extrêmement hypnotique. Bâti sur des fondations franchement hirsutes, l’édifice exerce un pouvoir de fascination qui contrecarre sans peine ses atours repoussants et on ne sait jamais très bien si l’on se prend une claque brutale consécutive à l’extrême violence qui habille la moindre parcelle de son, une claque simplement esthétique ou alors une claque révélatrice des appétences pas nettes que l’on porte au plus profond de soi. Sans doute un peu des trois. Bien sûr, tout n’est que stridences et saturations, échos et difformité mais dans le même temps, les poils se dressent sans qu’on le veuille vraiment et on voit bien que tout cela est parfaitement réfléchi et construit : les larsens n’arrivent pas par hasard, ils intègrent un tout qui, sans eux, ne serait pas tout à fait le même, il en va de même des voix déformées qui se transforment en vagues de bruit, des percussions majoritairement synthétiques qui matraquent la matière noire qui prend vie en-dessous et des nappes multiples qui se montent les unes sur les autres et s’arrachent consciencieusement les derniers lambeaux d’espace à grands coups de dent. On a plus souvent l’impression d’être le spectateur d’un combat plutôt qu’un auditeur et pourtant, à tout moment, il ne fait aucun doute que ce sont bien des morceaux qui défilent derrière les yeux.

Pour s’en convaincre, il suffit de se positionner sur la cinquième plage, DEAD BIRDS, et de se laisser cueillir par une entame étonnante, claire et presque avenante, seul moment du disque et par extension de Quttinirpaaq où l’on saisit l’architecture débarrassée de ses oripeaux bruitistes. Évidemment, ça ne dure pas et les nappes contondantes reprennent vite le dessus jusqu’à submerger complètement le morceau qui était de toute façon bien maladif dès le départ par la répétition aliénée de son riff psycho-bluesy patraque. Mais tout de même, on a presque eu l’impression que Matthew Turner avançait à poil. Quoique. Une certaine forme de déshabillage habite tous ses morceaux à bien y regarder : BLEED OUT en ouverture, avec son ossature mécanico-industrielle et ses accents harsh, relève sans doute plus de l’ecchymose et de la catharsis que de la violence gratuite. Même chose pour le très court KENTUCKY MEAT SHOWER ou le plus long TEEN COP, voire WALK INTO THE SEA placé en toute fin. Derrière l’amoncellement de distorsions vrillées et les atours pas nets, on sent bien qu’il se cache des gros bouts de la psyché de Turner. Quttinirpaaq semble expulser certains fantômes par ce biais et ses fantômes, une fois expulsés, alors qu’ils viennent prendre racine dans notre cortex, nous semblent étrangement familiers (ce qui ne rassure pas forcément).  Parfois le chaos revêt d’autres visages : WHITE WITCH, avec son groove synthétique rampant, rappelle de loin Suicide et les onze minutes ténues de LIFESTYLE USSR, en mêlant stridences power electronics presque murmurées (voire aphones) et climat glauque à la Nurse With Wound, tient sans doute plus de la balade irradiée qu’autre chose. Rien de bucolique bien sûr, rien de rassurant mais en levant le pied, Quttinirpaaq nous enferme tout aussi sûrement dans ses filets qu’à grand coups d’électronique sacrifiée. Dès lors, Dead September est continuellement implacable mais il offre aussi un climax très varié. Qu’il se tienne du côté strictement power-electronics ou qu’il use d’armes un peu plus organiques, qu’il recherche le choc frontal ou l’attaque larvée, on a bien du mal à se défaire de sa vibration industrielle et tellurique. C’est inhospitalier au possible, ça ne caresse jamais dans le sens du poil, c’est invariablement malaisé mais dans le même temps, on s’y sent inexplicablement bien et on se surprend à l’écouter souvent comme No Visitors et Let’s Hang Out avant lui.

Il y a sans doute chez Quttinirpaaq une dimension moins politique que chez Whitehouse ou, plus récemment, Crowhurst par exemple, mais peu importe, ce qu’il dit correspond à ce que l’on ressent et c’est là sans doute qu’il faudra chercher le pourquoi de notre invariable adhésion à tout ce qu’il fait. Onirique, puissant, déstructuré et radical, encore une fois, avec Dead September, Matthew Turner fait mouche.

Brillant.

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