Un focus sur Dora Dorovitch

Focus forcément non exhaustif sur la belle Dora Dorovitch, chouette étiquette portée sur l’alt-rap (entre autres) qui vient de sortir coup sur coup trois galettes tout aussi éloignées les unes des autres qu’irrémédiablement liées. Fractionnées, massives ou apaisées, finalement, ce qui frappe là-derrière, c’est leur côté très dense cachant une grande mélancolie frôlant la vraie tristesse.

SwordplayPaperwork
date de sortie : 12 septembre 2019

Ne pas se fier à la pochette aux têtes explosées mais s’y fier quand même. Ce Paperwork est vraiment un drôle de truc, se dérobant sans cesse et affichant au final une vraie unité. Quelque chose dans le flow tout à la fois malléable et déterminé et surtout dans la grande mélancolie qui suinte de partout y compris lors des moments les plus pop (ceux qui m’accrochent le moins, soyons honnête). Cette facette apaisée est néanmoins largement contrebalancée par tous ces moments de grande tension où l’air guilleret se cristallise et se pare d’atours mauvais. Paperwork change d’état avec une facilité déconcertante mais, au fond, reste ce qu’il est : un disque d’alt-rap concerné et donc anxiogène. Dès Time For Low, on est happé. Son parterre caoutchouteux, son boom boom boom boom angulaire et son flow exacerbé s’enroulent dans des nappes beaucoup plus éthérées et il en résulte une sorte d’entre-deux où la tranquillité n’est que de façade. C’est surtout très tendu. Plus loin, I Barely Know How To Dress Myself, Rabbits In The Hole ou Free Refills filent ce même coton crépusculaire, l’électronique jouant à la tectonique des plaques avec l’acoustique, l’une passant sous/sur ou se fracassant contre l’autre pour faire apparaître un relief très fracturé. Ça drum’n’bass, ça glitch et ça boom-bap à l’occasion mais jamais complètement et le patchwork ne s’effrite pas. On trouve aussi ça et là du spoken word perché (le prenant Brzowski’s Interlude), des enclaves pop-folk (Oh, Sila) voire pop tout court (Ambulance) qui peuvent agacer (c’est le cas me concernant avec ces deux derniers titres) mais qui aèrent surtout l’ensemble et lui donnent paradoxalement du liant. Au final, on se retrouve avec un album finement construit, à la densité bien réelle et tout le temps séduisant. Une nouvelle fois, Swordplay frappe fort et offre une suite à la hauteur de tout ce qu’il a pu sortir jusqu’ici.



D-FAZOneNationUnderDog
date de sortie : 18 septembre 2019

D’un côté un trio lyonnais porté sur l’électro de combat, de l’autre Brzowski, « vocaliste » from USA au flow imperturbable et rauque, au centre D-FAZ et OneNationUnderDog, un disque abrupt qui sonne exactement comme la prolongation d’Abandoning, premier EP de 2016. Sinon que tout y est beaucoup plus sombre et massif. Le flow caractéristique de Brzowski (et parfois d’Oddateee sur deux titres) est habitué à ferrailler avec un parterre jonché de bombes et les productions trouvent en lui un allié de poids qui exacerbe leur côté massif. Alors pour être tout à fait franc, ça fonctionne très bien la plupart du temps : les soubassements rythmiques très affolés font mouche, les nappes oppressantes aussi et les bidouillages électroniques apportent une variété salutaire qui ébrèchent légèrement le monolithe sur lequel Brzowski s’en donne à cœur joie. Mais il y a quelques trucs qui empêchent de mon côté la totale adhésion : ça manque parfois de nuances et les morceaux donnent au bout d’un moment l’impression de se ressembler tous, prisonniers de leur formule. De la même façon, l’amalgame m’apparaît sur quelques titres un peu forcé (le kitschoïde Beneath The Surface ou le refrain de Schoked Awake voire la fin de Sick Tired And Sleep et en règle générale tous ces moments où Brzowski frôle le growl). Enfin, les guitares, bien que massives, manquent de mordant et mériteraient de montrer un peu plus les crocs, un peu comme si le mix de Will Haunting en effaçait les angles et amenuisait leurs lignes de crêtes. Néanmoins, inutile de bouder son plaisir parce qu’il y a là-dedans des moments dantesques qui au final contrebalancent largement les quelques réserves susmentionnées : One Nation idéalement planqué au mitan du disque vise incontestablement juste, le lugubre et tendu Creatures juste avant, le très chouette As A Criminal juste après (magnifié par le flow clair d’Oddateee) constituent in fine une belle charnière autour de laquelle s’articule ce OneNationUnderDog plein de promesse et incontestablement bien foutu.



Malaad RoyThey All Left
date de sortie : 26 septembre 2019

Point d’alt-rap ici mais de la folk solaire et finement ouvragée. Malaad Roy, c’est le Rennais Dany von Del Baüt (guitare, voix, à l’origine seul maître à bord) accompagné de Célia Huet (au piano et autres claviers), Jonathan Joly (à la contrebasse) et Eric Hardy (à la batterie) et They All Left est à tout point de vue charmant. Solaire, finement ouvragé donc mais aussi très mélancolique derrière l’allant de chacune des compositions. Et puis, c’est aussi assez varié dans l’approche et on retrouve là-dedans des choses qui frôlent le jazz – le très long et très remarquable Seafaring Hero qui clôt le disque, explosant sans crier gare ou le bien nommé Richie’s Ballad avant lui – associées à des moments suspendus où Malaad Roy donne l’impression de dessiner des arabesques dans les airs à grands coups d’entrechats. Très bien construit, les quatre morceaux n’en font jamais trop et s’articulent autour de la voix très posée de Dany von Del Baüt qui transmet sa tessiture et ses mots à la musique qui l’accompagne : elle ne s’énerve pas, les instruments font de même, elle se contorsionne, ils se lancent dans des digressions venant rompre l’ossature générale, elle susurre, on n’entend plus que le violoncelle et ainsi de suite. Bref, ce quatre morceaux ténus et bien équilibrés font impatiemment attendre la suite car une fois arrivé au terme de l’écoute, il ne fait aucun doute que They All Left est surtout bien trop court.

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