Vis-à-vis de 2kilos &More, on en était resté en 2012, alors que leur album Kurz Vor5 s’était haussé pénardement sur le podium de notre best-of de l’année. Loin de les avoir oubliés – un morceau comme Second Season, ça se réécoute souvent – on était pourtant passé à côté de la double compilation qu’ils avaient sorti pour leurs 10 ans, en 2013 sur Audiophob, avec un versant live et un versant remixes. Il était grand temps de se rattraper et de ne pas commettre la même erreur avec Lieux-Dits, leur quatrième album, sorti en février sur Ant-Zen, tandis qu’une version LP verra le jour sous peu chez les Français deSatanic Royalty. Avant même de plonger tête la première, on peut apprécier le fait que ce groupe trop peu reconnu signe sur un label de l’envergure d’Ant-Zen. Leur live en 2012 au Maschinenfest aura peut-être contribué à ce rapprochement, ils rejoignent en tout cas, avec Naö, le club plutôt select des Français à avoir embrasé le festival pour ensuite signer chez les Allemands.
Le groupe se compose des Français Hughes Villette et Séverine Krouch ainsi que de l’Américain Black Sifichi. Sur les sept morceaux de l’album, ce dernier pose sur trois d’entre eux son spoken-word caractéristique, à la fois grave et glaçant, animal et caverneux. Pour le reste, le duo développe ce qu’il sait faire de mieux : une mécanique obsédante et complexe faite d’un alliage entre musique industrielle et post-rock, entre une approche expérimentale, électronique, répétitive et l’impétuosité abrasive du noise. C’est bien là qu’on pourrait évaluerLieux-Dits en perspective avec Kurz Vor5. Si leur précédent disque mettait particulièrement à l’honneur les beats épais et dévastateurs, empreints d’une texture industrielle, le petit dernier laisse aux guitares l’avant de la scène. Il n’y a qu’à prêter attention à la mélodie de Autres Peaux, faussement gracile, vivace et purement mélancolique, qui se déploie avec une tension suffisante pour étourdir, mais sans jamais exploser. Autre élément accentuant l’allure de post-rock asphyxiant qui se dégage de cet album, le jeu de batterie soutient à merveille une trame qui s’est manifestement donnée comme objectif de rendre un hommage vigoureux à la lancinance. Qu’elle soit funèbre, belliqueuse ou révolutionnaire, le roulement de batterie sur Cache Feu sonne comme une marche des plus déterminées. Supports à une guitare acérée et grinçante, les drums, spongieuses à l’origine, mutent en machines de guerre qui collent une envie furieuse d’entendre le morceau en live et de se livrer à une transe commune avec un public devenu zombie. Quand on sait que les concerts de2kilos &More correspondent à des moments d’une rare intensité poisseuse – durant lesquels le duo se livre à un duel particulièrement égalitariste, face à face et difficilement distinguables, entre un mur de vidéos (signées Lisa May) et un rideau de tulle – on espère très fort que cette récente sortie signera une nouvelle tournée.
Concernant les titres avec Black Sifichi, il faut saluer en particulier l’incroyableJanuary Ride, dont la progression rampante ne rend que plus fiévreux le décollage à mi-morceau, alors que la rythmique cingle le chant ombrageux du New-Yorkais, comme une machette caresserait la bruyère. On pense à Scorn,Techno Animal, Grails, tout à la fois. Le Perfect Pulse de clôture, en forme de récit de science-fiction, achève le disque sur une note post-moderne du plus bel effet – voyez plutôt.
On ne surprendra pas en concluant que le quatrième album de 2kilos &More est une impondérable tuerie. Les disques dont on se dit qu’aucun titre ne surpasse les autres, en raison de leur excellence à chacun, sont d’une grande rareté. Sachez-le. (Achetez-le).