Oui, mais voilà, DEFCE sort chez Ohm Resistance, label qui sait de quoi il parle et lorsqu’on lit que Surface Tension « is one of the deepest masterpieces in [their] house« , on se dit d’abord que l’on tient-là quelque chose et surtout, que l’on est foncièrement d’accord. On aura rarement entendu amalgame drum’n’bass industrialo-noise-technoïde si implacable, y compris au sein des productions estampillées du vénérable logo brooklynois, ce qui n’est pas un mince exploit. DEFCE, c’est un peu les fulgurances sévèrement noires de Scorn qui croisent le fer avec les abstractions majestueuses de SIMM, les canevas élégants de Bojanek & Michalowski bousculés par la vision sans concessions de Submerged. Surface Tension est totalement Ohm Resistance, rappelant à la fois son versant électronique et sa volonté d’ouverture. Surface Tension est aussi totalement réussi. Cette évidence saute au visage à l’écoute de titres de la trempe de Northern Solace, January ou Lilac Requiem. Longs, rampants et sans issue, leurs pulsations cardiaques s’accrochent aux tympans puis s’attaquent au cortex à grands coups de lames de fond abstraites. Samouraïs synthétiques, ils coupent et tranchent, zèbrent l’espace de leur gestuelle guerrière savamment chorégraphiée. On danse les bras en l’air mais on est très vite accueilli par une pluie d’estafilades. C’est à la fois complètement cérébral et totalement décérébré : les beats nous emmènent loin du corps mais la répétition nous y ramène irrémédiablement et les morceaux finissent pour nous y enfermer à double tour. Atmosphérique mais aussi mathématique et surtout complètement disloqué, Surface Tension effectue un grand écart improbable. Il semble arpenter un chemin tout en marchant dans la direction contraire : on le croit massif, il se montre léger, on le conçoit aéré, il se révèle au contraire extrêmement dense et on est assailli de sensations antagonistes à son écoute. Un peu perdu, on se rabat sur la tracklist pour savoir où l’on se tient et on se retrouve toujours ailleurs et à un autre moment. C’est là le côté monolithique susmentionné. Pourtant, à bien y regarder, les morceaux ne sont pas à proprement parler gémellaires, DEFCE chaussant parfois ses bottes de sept lieux pour arpenter un relief accidenté au pas de course (Helial Harvester, Phyllum Roller ou MAO-A par exemple) alors qu’il peut se montrer relativement calme et introspectif l’instant d’après (Decisive, The Subject, Dipole ou encore l’implacable Drone Towel) tout en étant en permanence torturé.
L’écoute de Surface Tension provoque un ouragan dans le crâne, elle peut même se montrer épuisante lorsqu’on l’envisage d’une traite. Intransigeant, en permanence noir et déshumanisé tout en provoquant plus d’une fois de sacrés frissons sous l’épiderme, le monstre de bakélite hypnotise. Complètement captif, on a bien du mal à se détacher du faisceau abstrait et aliénant de son crépusculaire soleil noir. On en deviendrait presque diptère.
Puisqu’au final, il s’avère impossible de briser le drumcode.
« Masterpiece » ? On n’en est pas loin en tout cas.
DEFCE – Surface Tension
