Fillette – Fillette

Date de sortie : 01 septembre 2023 | Labels : Katatak, La Face Cachée, Assos’y’song

Fillette, petite fille, fillette, contenance et aujourd’hui, Fillette, quintette noise from Marseille réunissant quelques Caraques, La Pince ou Ntwin (liste sans doute non exhaustive). Fillette a déjà derrière lui un paquet d’années d’existence mais sort son premier album ce mois-ci. Fillette agrafe trois guitares stridentes (et parfois un saxophone) à un squelette basse/batterie revêche qui, ensemble, dessinent des morceaux intenses et métamorphes qui ne se ressemblent jamais. C’est bien ce qui fait le sel de cet éponyme qui n’arrête pas de prendre par surprise puisque chaque occurrence détricote la précédente : kraut, free, indus, expé, rock, no wave et/ou psyché, le tout drastiquement accolé au substantif -noise, Fillette refuse de choisir son camp et déplace son curseur en permanence sur un segment barbelé allant de la psalmodie fuselée au matraquage punk. On pense l’avoir cerné et il se dérobe sans cesse, c’est très bien comme ça.
Bon, c’est vrai, je force un peu le trait, c’est quand même très cohérent, il y a une vraie unité et ça n’a rien d’un patchwork disloqué : il y a des choses que l’on retrouve dans le moindre interstice (les coups de boutoir de la basse, le touché hyper sec de la batterie, le côté martial, les mélodies viciées, l’exploration et la grande inquiétude partout) et d’autres qui mutent (la voix qui peut être esseulée, parfois en bouffant le micro mais qui peut aussi être rejointe par d’autres, des textes en français ou en anglais, les guitares qui arrachent, s’échappent, tapissent, tabassent et j’en passe) si bien que la musique du groupe laisse une empreinte tout à la fois bien réelle et floue. On en discerne bien le contour mais pas vraiment les motifs et du coup, le disque peut se montrer assez mystérieux.

Déjà, il y a cette entame. Les presque sept minutes du parfait CRANE, longue incantation psyché, répétitive et plombée où la voix semble tourner au ralenti avant d’être réveillée par des chœurs stridents qui l’arrachent de l’outre-tombe en même temps que les guitares explorent le cosmos. Rien à voir avec QUERELLE, bien moins cosmique, bien plus anxieux, qui préfère rebondir sur les murs de sa cellule capitonnée en grattant ses croûtes d’inquiétude. Rien à voir non plus avec FESTIN, encore plus terre à terre voire glaiseux. Fillette y tue la bête avec une lame rouillée en gueulant des trucs pas clairs. Ensuite, c’est un peu toujours comme ça et donc toujours différent : les stridences psychorigides de MAITRESSE ratiboisées par le plus rampant ON THE SPOT, la splendide cavalcade au ralenti de THE BRIDE diluée dans le prêche halluciné, supendu et prenant de LA GUERRE.
Comme la photographie (on dirait une vue de dessus prise de face) qui orne sa pochette cernée de noir, Fillette est foisonnant.
Et s’il ne fait pas systématiquement mouche (c’est parfois encore en recherche, pas toujours complètement posé), le groupe reste très convaincant tout du long et c’est un vrai plaisir d’explorer ses strates, d’identifier l’humeur générale lorsque débute un morceau ou d’en détailler la sédimentation et les répétitions. Les poussières d’indus qui se mêlent aux volutes psyché, la rythmique kraut qui se frotte à l’acide no wave des guitares, le jeu entremêlé des voix comme s’entremêlent les soubassements, le son crade juste ce qu’il faut sans être une bouillie informe (captation de Nicolas Dick), tout s’emboîte parfaitement.

Fillette sort un premier disque qui ne ressemble pas vraiment à un premier disque. On sent bien, derrière, les expériences passées, les multiples concerts, les longs moments à laisser aller la noise où bon lui semble puis à tailler dans la masse pour n’en garder que le nerf, ceux à polir la matière brute pour la domestiquer légèrement sans lui limer les crocs. Ça aussi participe au mystère du disque. Et inutile de chercher sur la pochette noire la moindre indication : les titres, les labels et basta. Histoire de montrer que Fillette et ses mystères n’ont pas plus d’explications que celles contenues dans sa musique.

leoluce

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