Hey!Tonal – s/t

Date de sortie : 09 octobre 2021 | Label : Computer Students

D’emblée, je pourrais dire de cet unique album d’Hey!Tonal qu’il est « percussif » et m’arrêter là. Il me semble que ça suffit à le définir. Enfin, pas tout à fait, on rajoutera « excessif » et « explosé » pour un surplus de précision. On trouvera également un peu de place pour évoquer son côté « math » . Dire aussi qu’il s’agit d’une réédition, préciser qu’on la doit à Computer Students, ce qui devrait vous permettre d’imaginer aisément à quoi ressemble l’objet.
Ah si, indiquer également que le groupe réunit Mitch Cheney, à l’origine du projet, et Alan Mills ainsi qu’une belle flopée de collaborateurs dont Kevin Shea, Theo Katsaounis, Dave Davidson, Kenseth Thibideau et Julien Fernandez (ces deux derniers seulement sur un titre). Un peu l’Internationale de la noise (et de l’indé) quantique à ce moment-là (les uns et les autres participant ou ayant participé à nombre de formations visant la dislocation du rythme, de Rumah Sakit à Chevreuil en passant par Sweep the Leg Johnny, Storm & Stress ou Maps & Atlases, liste non exhaustive). Dire aussi que durant l’élaboration, tout ce petit monde ne s’est jamais retrouvé physiquement dans la même pièce et qu’il y a eu pas mal d’envois de fichiers pour aboutir à ce disque initialement paru au format CD sur Africantape (coconduit par Mitch Cheney et Julien Fernandez) en 2009.
Expliquer enfin que même si tout a été assemblé après coup, les morceaux tiennent étonnamment debout et qu’ils ne sonnent jamais comme des boîtes de conserve aseptisées, c’est même complètement frais alors que ça a déjà quelques années au compteur. Le temps ne semble avoir aucune prise sur leur folie douce.
Hey!Tonal, c’est bien sûr des basses et des guitares mais c’est surtout beaucoup de batterie (celle de Kevin Shea qui peut se révéler aussi étonnante que pénible dans Talibam! par exemple, ça n’était pas gagné d’avance). Tout part de là et tout se greffe sur ses patterns, jamais l’inverse. C’est aussi quelques beaucoup de digiblips, quelques beaucoup de low ends ou autres attributs nitendocore et quelques beaucoup de chants injectés à grandes eaux dans le maelström, à tel point qu’on a du mal à identifier ce que l’on entend et que l’on ne sait jamais qui fait quoi. L’essentiel tient sur le rythme, sur sa déconstruction et sa reconstruction, sa démultiplication et son exploration et le tout est systématiquement accompagné d’un bon milliard de notes et de bruits divers, rendant l’ensemble fortement libre, exploratoire et franchement abyssal alors qu’on sait bien que tout est soupesé. Un drôle de truc. Un vrai laboratoire.

Insaisissable, atomisée et reconstituée au petit bonheur la chance – enfin, ça, c’est que nous fait croire notre cerveau – la musique d’Hey!Tonal est proprement indéfinissable : trop bordélique pour être qualifiée de math-rock, trop raide dans sa freeture, trop instinctive dans ses élans prog, pas assez féroce dans sa noise mais féroce dans son jazz, on a bien du mal à déterminer de quoi il s’agit et ça n’a pas la moindre importance. Ce qui compte, c’est ce qu’elle provoque et tout se joue sur la frontière ténue entre agacement et attachement qu’elle ne cesse de piétiner.
Le premier bon point, c’est que Kevin Shea n’en met pas partout et que pour une fois, puisque tout part de lui, il s’intègre complètement au collectif. Sa batterie ne sonne d’ailleurs pas toujours comme une batterie et ça participe pour beaucoup à l’aura un peu étrange qui entoure les morceaux. L’autre bon point, c’est le groove fortement malléable qui, contre toute attente, arrive à maintenir son élasticité tout du long, malgré le flux protéiforme et les azimuts plus que nombreux. Tout à beau être échantillonné, il y a là-derrière un je-ne-sais-quoi de très enveloppant qui empêche les élucubrations d’être absconses, écueil difficile à éviter lorsqu’on malaxe une telle matière mouvante.
Et puis il y aussi les petits bouts de mélodies qui apparaissent on ne sait trop comment mais surtout quand on ne s’y attend pas (Uppum, Carl Sagan Is The Long Form Of Bitchin’ et quelques autres), les coups de griffe dévastateurs (Kcraze), les ondes des guitares qui jouent au ping-pong, la multitude de détails qui s’amoncellent sur une même seconde (tous les morceaux) et font qu’on n’a jamais complètement fait le tour de ce premier album on ne peut plus singulier.
Une fois n’est pas coutume, on sait gré à Computer Students (et à sa collection Anatomical Reissue) de remettre sur les devants un disque étrange qui a, encore aujourd’hui, toute sa pertinence. C’est toujours un plaisir d’ouvrir les emballages surprises en aluminium qui constituent la marque de fabrique du label : belle pochette, vinyle blanc classieux, poster XXL, photographie en noir et blanc, notes explicatives fouillées et j’en passe. L’objet est aussi beau et intéressant que la musique qu’il renferme et s’en va rejoindre illico le club très restreint des rééditions qui ne capitalisent pas sur la nostalgie dans un but purement mercantile (pas sûr que tout le monde ait pu écouter Hey!Tonal en 2009) et qui, donc, comptent.

(leoluce)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *