Tabatha Crash par Tabatha Crash, cinq morceaux coincés entre un peu plus de trois et presque six minutes, une guitare (Benoit Malevergne), une basse (Geoffrey Jégat) et une batterie (Thierry Cottrel), un peu de chant (celui du guitariste) par-dessus. Dans l’ensemble, c’est sec et sans aucune forme de fioriture. Et c’est plutôt captivant. À commencer par la basse qui balance des lignes à l’élégance furieuse et s’en va régulièrement rejoindre les tréfonds de l’inframonde. Mais il y a aussi la guitare. Souvent, elle lacère, le reste du temps, elle multiplie les azimuts sans jamais interrompre sa course vers l’avant. Vient enfin la batterie. Robuste, elle tabasse ce qu’il faut mais n’assomme pas, son itinéraire est certes orthogonal mais il est aussi mouvant et s’agrafe en permanence à l’apex créé par les deux autres. Triangle très resserré, Tabatha Crash joue carré. Tendus, les morceaux sont sans cesse étirés à l’extrême entre l’un et l’autre des trois sommets qu’ils finissent par épouser complètement. Sans jamais casser. Et par-dessus, vient la voix scandée (et par moment très fugazienne, sur Alligator par exemple), elle finit d’asseoir le caractère infiniment urgent du noise-rock aux fortes accointances post-punk des Parisiens. Janséniste et ne rigolant quasi-jamais, la seule concession du trio à la gaudriole vient finalement de son nom. Un nom qui ne laisse aucunement présager de la musique qu’il défend. Ce qui n’est pas le cas de la pochette où la camisole qui cingle le bonhomme au sourire intrigant résume, elle, parfaitement la teneur de ces cinq morceaux fortement ténus et emberlificotés.
Qu’on ne s’y trompe pas, s’il s’agit bien d’un premier EP, ces trois-là se connaissent par cœur et unissaient déjà leurs doigts, leurs bras et leurs pieds au sein de Sons Of Frida. Ils étaient alors quatre et frayaient déjà dans le noise-rock très sec (après des débuts plutôt attirés par le post) qui culminait probablement sur leur Tortuga de 2013 (auquel n’a pas participé le bassiste), dernier album aussi court qu’incandescent. Toutefois Tabatha Crash, s’il conserve peu ou prou la même ligne directrice anguleuse, fait encore plus dur. Et beaucoup plus post-punk. Avec une guitare en moins, la basse peuple désormais le moindre interstice de ses circonvolutions arachnéennes et ce faisant, rapproche les Parisiens d’un genre de Berline0.33 resserré. Un peu la même basse donc mais aussi la même élégance si ce n’est que le trio apparaît un peu moins arc-bouté sur la répétition forcenée des structures qu’il met sur pied. Dès Calèche et jusqu’au dernier souffle d’Alligator, l’épiderme reste magnétisé par la tension due à l’enchevêtrement des instruments, à l’indéboulonnable rythmique caoutchouteuse et/ou moribonde sur laquelle rebondissent les larsens, les coups de griffes et les galops d’une guitare au vocabulaire infiniment varié. La doxa de ce chouette bréviaire de la sécheresse et de la tension atteint sans doute son acmé sur Mary qui est aussi le morceau le plus long. Cinq minutes et quelques où l’évidence mélodique devient de plus en plus disloquée jusqu’à ce qu’il n’en subsiste plus qu’un spectre.
Dotés d’un son idoine, lui aussi sans fioriture, rajoutant si besoin était à l’urgence déjà importante de l’ensemble, ces cinq titres de Tabatha Crash frappent fort, juste et font donc évidemment attendre impatiemment la suite.
Formidable.