The Dead Mantra – Saudade Forever

Saudade Forever est le nouvel album de The Dead Mantra. C’est aussi – malheureusement  – le dernier. Il n’y aura pas de suite. Ce que l’on ne peut que regretter. Leur «french gregorian shoegaze» livrant sans doute ici ses plus beaux éclats. D’ailleurs, ne vous fiez pas outre mesure à cette singulière étiquette car si l’on identifie bien le côté shoegaze – et encore – on aura plus de mal à en cerner l’aspect grégorien. Alors certes, on retrouve bien une forme de liturgie à l’œuvre là-derrière mais pour le reste, il y a quand même de quoi bien s’éloigner de n’importe quelle église ou chapelle. The Dead Mantra ne semble suivre qu’un seul chemin : le sien. Un chemin certes ombrageux – les crocs et les coups de griffe se mêlent à une mélancolie exacerbée frôlant parfois l’infinie tristesse – mais également suffisamment hérissé pour empêcher les Manceaux de tomber dans les affres de l’apitoiement ou du tire-larmes outré. L’ossature est vraiment trop aiguë et hargneuse pour être qualifiée de simplement shoegaze. Et puis comme on se fout des étiquettes, on plonge dans le disque tête la première pour se concentrer sur ce que l’on a plutôt que sur ce à quoi il renvoie. Saudade Forever donc. Un titre parfaitement trouvé. Un leitmotiv. Depuis The Garden jusqu’à la toute fin de Window, le spleen est omniprésent et inonde la moindre parcelle des sept morceaux. S’il participe pour beaucoup à leur joliesse, les aiguilles noise semées ici ou là font également naître une forme de colère qui donne tout son souffle et sa singularité à l’ensemble. Du coup, on se retrouve très vite piégé dans des sentiments contradictoires où l’envie de capituler se conjugue à celle d’en découdre. Un entre-deux casse-gueule peut-être mais surtout délicat qui donne tout son éclat à Saudade Forever.

Succédant à Nemure en 2014, Saudade Forever creuse le même sillon mais apparaît moins policé, plus arraché et plus vivant. Pour commencer, le chant a gagné en épaisseur et en variété et s’il lui arrive encore de se planquer dans l’éther (shoegaze oblige), il n’hésite plus à déployer son lot de cris salutaires et déchirants qui décuplent l’urgence des morceaux (l’éponyme, Je Ne Dormirai Jamais et quelques autres) sans pour autant tomber dans une vaine surenchère. Rien n’est factice dans ses interventions et il colle tout simplement bien à la musique amère qui le porte. Celle-ci est également bien plus contrastée qu’elle ne l’était jusqu’ici. Ayant gagné en muscles et en nerfs, elle n’arrondit plus les angles et les garde au contraire saillants. Le côté monolithique et ténu de Nemure est ainsi battu en brèche au profit de quelque chose de plus dense, de plus vibrant. Une épaisseur nouvelle recouvre les morceaux sans que l’on puisse pour autant parler de lourdeur ou d’emphase. Rien de tout ça ici mais plutôt une mixture équilibrée et dynamique, agressive ce qu’il faut et ne camouflant jamais ses mélodies ni ses idées noires. Il en résulte de beaux morceaux qui accrochent immédiatement : le long éponyme avec son entame patraque dévoilant le motif principal qui sera ensuite enfoui sous des strates de plus en plus sales, de plus en plus écorchées sans jamais disparaître complètement, le plus calme mais extrêmement tendu Luxury Shopping porté par une voix et des instruments inquiets et altérés, Je Ne Dormirai Jamais qui rappelle de loin les Canadiens de feu Women ou encore The Garden concentrant tous les traits de The Dead Mantra en sept minutes, sa mélodie limpide de plus en plus étirée et violentée. C’est souvent ténébreux mais c’est aussi majestueux et le disque s’agrippe tout autant aux tripes qu’aux neurones.

C’est finalement quand il choisit de disparaître que le groupe semble avoir trouvé son équilibre : il n’a jamais sonné aussi triste qu’ici, ni aussi tourmenté et chaotique. C’est en poussant ses topoï au maximum, en repassant ses contours au feutre fin sans en gommer les aspérités qu’il révèle in fine son caractère profondément entier. Bien sûr, on ne peut que regretter la disparition programmée de The Dead Mantra mais Saudade Forever est bel et bien là et l’on pressent qu’il y est pour un bon bout de temps. De quoi rendre les larmes un peu moins amères.

Remarquable.

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