Date de sortie : 10 décembre 2014 | Labels : Circum-Disc, Tandori Records, Besides Records, Do It Youssef !
Deux titres séparés par un espace, celui du changement de face, deux choses bien distinctes mais aussi deux constructions aux nombreux traits communs : le souffle, le réseau, les ramifications, les vecteurs flous et la dynamique. Guitare, batterie et Fender Rhodes s’enchevêtrent, s’arc-boutent ou prennent appui sur les deux autres pour dessiner un monde fantasmatique, végétal et abstrait. De prime abord, on est plutôt cueilli par l’aspect tribal des compositions, la pulsation balancée aux pieds des idoles, une cérémonie païenne où l’on s’immisce sans trop oser. Mais TOC a un je-ne-sais-quoi d’organique qui emprisonne les synapses dans des cercles concentriques dont ils ne peuvent plus s’extirper. Un souffle tout à la fois libre et exaspéré se dégage des deux morceaux, ça improvise mais c’est aussi déterminé et quand on croit qu’un instrument se perd dans les méandres du sans queue ni tête, un élément vient tout de suite contrecarrer l’échappée : un poum-tchack asséné avec force conviction, un riff tout d’un coup roide alors que les autres étaient plutôt fuyants, une stridence appuyée au milieu de nappes floues par ailleurs. Ce n’est pas tout et son contraire, c’est plutôt labyrinthique tout en sachant où ça veut aller. Half Updo est ainsi tout entier tendu vers son épilogue paroxystique alors qu’il commence sans faire de bruit. Un long développement rempli de carrefours et de chausse-trappes dont on comprend à la toute fin seulement vers quoi, dès le départ, il nous emmenait. On s’y perd avec jubilation mais sûrement pas le groupe qui sait très bien ce qu’il fait. Jérémy Ternoy fournit la chair (Rhodes, Rhodes Bass), Peter Orins le squelette (batterie) et Ivann Cruz, les muscles (guitare) et il y a déjà de quoi explorer longtemps en se focalisant sur un instrument au détriment des deux autres. Le Rhodes virevolte, trace des arabesques aquatiques et abstraites, peuple les interstices tout en laissant passer l’air, bien présent mais pas hermétique. La guitare envoie ses giclées acides, joue fort et dessine des zébrures définitives qui impressionnent la cornée. On voit littéralement un itinéraire se construire derrière les yeux. La batterie, tribale, balance ses coups sans retenue aucune mais avec beaucoup de tact. Métamorphe et malléable, elle peut sonner comme une enclume et marcher à pas de loup l’instant d’après.
Mais évidemment, c’est quand on envisage les trois ensemble que
TOC révèle sa majesté (d’où l’acronyme). La guitare se superpose au clavier, la batterie laboure les soubassements et le spectre tout entier se voit rempli de musique. C’est pourtant très aéré mais ça n’en reste pas moins dense. C’est complètement free mais jamais abscons. Ça donne l’impression d’un dessein construit à l’avance alors que ça n’apparaît que dans l’instant et lorsqu’on détaille le moment, on voit bien à quel point il s’inclut dans un ensemble bien plus grand. Ainsi,
Updo, l’autre titre, débute en mode renfrogné, les bulles de Rhodes agrippées aux cordes exaspérées de la guitare, la batterie gifle l’espace puis, par intermittence, le piano se tait et on est déjà ailleurs. Les cordes expérimentent la stridence, les peaux se reconfigurent au même titre que le clavier et ce sont des fulgurances hypnotiques qui habitent désormais le titre. Et tout d’un coup, tous les instruments se montent les uns sur les autres. Jusqu’ici,
Updo filait droit devant, maintenant il vise le plafond. Une nappe, une frappe, un riff et ça recommence jusqu’à finir épuisé. Le morceau ne tient plus qu’à un fil alors qu’on n’en est qu’à la moitié. Autant d’épisodes disparates qui construisent une pièce cohérente, tenant fièrement debout du haut de ses vingt minutes. On y entend de l’improvisation et de la répétition, une espèce de psychédélisme solaire qui frôle parfois le progressif, des poussières de
Zappa mêlées à des agrégats noise quand ils ne sont pas plus foncièrement metal, du
Rhys Chatham sans la trompette à moins qu’il ne s’agisse de
Branca, du
Tortoise et du
Fire! aussi et puis surtout du jazz. Et comme le tout s’arrête bien trop vite, on file voir avant.
You Can Dance (If You Want) cela s’appelle. Qui permet de situer le
Haircut présent. En gros la même chose mais découpée en plusieurs morceaux un peu plus disparates. C’est en ça que l’on voit que tous ces petits moments qui se succèdent sont néanmoins inclus dans un tout homogène :
Obsessive Compulsive Disorder et
Downward Trend Of Increase se suivaient par exemple sans se ressembler en 2012 alors qu’aujourd’hui
Updo porte des réminiscences de ces deux-là tout en restant lui-même, à savoir un long reptile hypno-aquatique assez fascinant qui nous emmène tout droit vers la transe. Subtil et racé, capable de maintenir la tension de longues minutes durant,
Haircut mais peut-être plus encore
TOC impressionne.Bref, le trio lillois – obsessionnel et compulsif peut-être mais surtout magistral – livre ici un disque que l’on rêve de découvrir en vrai. Un poil plus introspectif que par le passé mais toujours féroce et bigarré, on tient-là une belle tranche de jazz mutant et hypnotique magnifiquement emballé sous une belle pochette (oeuvre de
Jérôme Minard) terreuse et radiculaire illustrant parfaitement le propos. L’enchevêtrement, la tourbe, les feuilles mortes, l’écosystème souterrain grouillant de vie, ce n’est certainement pas parce que tout y est enfoui que rien ne s’y passe.Et toc !
leoluce