Aluk Todolo – Voix

Aluk Todolo débarrassé de ses digressions, ne gardant que ses atours carnassiers, voilà de prime abord ce qu’évoque Voix. Dès la première seconde, on est happé. Mais ça, c’est plutôt habituel. Et puis l’enchevêtrement est toujours de mise. La basse tapisse la route tortueuse de grosses giclées caoutchouteuses sur lesquelles la batterie rebondit et la guitare traque l’inattendu, balançant ses riffs qui s’évaporent dans l’éther ou mutent en déferlantes insidieuses. Mais dans le fatras, on a pourtant l’impression d’y voir plus clair, ce qui est assez nouveau. Un peu comme si le trio avait délaissé l’accumulation et le tabassage systématique du spectre pour laisser résonner l’écho. C’est bien ce qui frappe, cette résonance particulière. Elle habite tous les titres. Habille les riffs, les ondes et les frappes. Les rend plus fuselés encore. Sans doute sont-ils moins nombreux qu’à l’accoutumée, comme si Aluk Todolo avait voulu les laisser grossir une fois expulsés des instruments. Leur pouvoir de nuisance n’en reste pas moins important : dès lors qu’ils ont quitté les enceintes, ils pulvérisent tout et alourdissent considérablement l’atmosphère. Toujours aussi oppressante, la musique retient ses coups pour donner plus de puissance à ceux qu’elle distribue désormais avec parcimonie. Toujours au même endroit. Dans le ventre. Souffle coupé, papillons devant les yeux, la bile au bord des lèvres. Il ne faut pourtant pas s’attendre à un revirement stylistique drastique, Aluk Todolo reste Aluk Todolo. Ces six instrumentaux, uniquement identifiés par leur durée, ne pouvaient provenir que du trio. Le même amalgame black-prog-kraut-noise, la même transe, le même psychédélisme labyrinthique conduisant aux mêmes contrées sombres. Et le groupe à beau avoir restreint le nombre de notes, il en reste encore beaucoup, ainsi que les changements de direction inopinés qui toujours prennent par surprise. Si Voix resserre le propos, il reste campé sur les mêmes fondations.

Mais cette aération inédite, cette résonance singulière exacerbe les traits cosmiques du trio. Le déluge de riffs stridents, les ondes sépulcrales de la basse et la batterie toujours aussi métamorphe construisent des morceaux revêches mais un poil moins renfrognés que sur Occult Rock. De ce dernier, Aluk Todolo n’a gardé que l’attaque, plutôt frontale, parfois larvée. Un condensé qui ne tient cette fois-ci que sur un disque. Il a gardé aussi la vibration morbide même si le black hérité de Descension et Finsternis s’est peu à peu dilué au profit d’un agrégat de plus en plus kraut, de plus en plus harsh et quasiment jazz. Voix s’inscrit donc dans une continuité, la patte demeure mais la musique continue à évoluer par petites touches abstraites, comme si chaque album se singularisait des autres par une mise au point différente, centrée sur un trait saillant qu’il veut faire apparaître avec netteté, laissant flou le reste. Sur celui-ci, c’est bien sa faconde psychédélique qu’Aluk Todolo semble vouloir mettre en avant : l’architecture disloquée et bizarre apparaît au grand jour puisqu’elle n’est plus noyée sous un déluge de notes, basse et batterie agrafées l’une à l’autre tracent une route progressive, toujours inattendue, répétitive et sinueuse que l’on peut désormais pleinement détailler et les zébrures aiguës de la guitare s’élèvent bien au-delà de la stratosphère pour rejoindre l’espace intersidéral. Les instrumentaux sont six mais résonnent comme un seul, les mouvements se fondent les uns dans les autres : du fuselé 8-18 en ouverture jusqu’au cosmique 9-29, la rythmique reste indéboulonnable, la basse rebondit sur elle-même dans un mouvement perpétuel qui ne faiblit jamais, les cymbales sont giflées, effleurées, castagnées et la guitare se montre toujours aussi inventive. Ciselée, sèche et percutante, l’ossature mute insidieusement, tour à tour rouleau compresseur ou entrechat suspendu dans les airs : 5-01 par exemple et sa noise dont ne subsiste que les nerfs, 7-01 qui lui se recroqueville sur le jazz tailladé de la batterie, offrant une enclave ténue et presque murmurée, 5-34 plus viscéral, on a l’impression d’être face à un humanoïde en trois dimensions dont chaque morceau détaille une strate.

Disque IRM, plombé et minéral, perché et minutieux, Voix est à nouveau une indiscutable réussite de la part d’un groupe qui n’a connu que ça. Tous les albums se suivent et se ressemblent sans jamais être les mêmes. Aluk Todolo suit sa route, esseulé et racé, sa voix toujours accaparante et hypnotique. Énigmatique, tarabiscotée, s’adressant au cortex et aux tripes, la musique du trio se rapproche aujourd’hui d’une forme d’épure mais n’en reste pas moins magnétique.

Remarquable.

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