Bethaniens Dust – Now Freedom Music EP

Ce n’est pas la première fois que l’on croise le nom de Bethaniens Dust du côté du label I Had An Accident, incessant pourvoyeur au format cassette, depuis que Justin Bieler a laissé les clés il y a quelques années à son compère Damien Miller, d’abstract fantasmagorique et sursaturé où drums massifs et libertaires côtoient expérimentations analogiques et samples ciné avec la réussite que l’on sait, culminant notamment cette année avec les derniers cauchemars en date de la paire Bonzo/Tenshun, le beatmaking futuro-mystique du folklo mais flippant Rabbi Max, les sorties hip-hop ou instrumentales du patron Damien en personne ou encore ce petit bijou à la Mo Wax signé Namo.

Avant c’était protéiforme, intrigant, oppressant, maintenant ça l’est tout autant et même si le passage de témoin a quelque peu éloigné IHAA de l’ambient pour le rapprocher du hip-hop instru donc, les textures et les atmosphères s’y taillent toujours la part du lion, pour preuve ce Now Freedom Music… qui est loin d’être le coup d’essai de l’Irlandais Simon Milligan disait-on, actif depuis 1991 sous les pseudos DJ Troubledsoul puis Epigon A.D:M – et SM Milligan pour ses travaux les plus ambient entre field recordings et bruit statique – bien que resté sous les radars jusqu’à sa participation aux platines et à la production de feu Melodica Deathship, combo doom-hip-hop dopé à l’électro gothique, aux histoires de marins perdus et autres récits et musiques traditionnels de l’île d’émeraude.

Repéré sous les horizons de l’écurie de Damien donc, par le biais du très brut et lo-fi Three Muses aux frappes implosives et aux ambiance délétères, et d’un Statis à la mystique ténébreuse en face-B de cet excellent split avec le tenancier, mais rien encore qui puisse rivaliser avec les meilleures sorties d’Epigon A.D:M en son temps, à l’image de The Volume of Things Falling From Notice, bande-son de purgatoire hantée par des stridences de violoncelle, drones funestes et autres samples orchestraux malaisants, ou de l’ésotérique voire même carrément glauque Perigone Shell EP avec ses dissonances et grouillements de cauchemar éveillé et ses accents jazz déglingués. Eh bien bonne nouvelle, c’est précisément cette atmosphère de fantasmagorie désarticulée que l’on retrouve dès l’entame de ce nouvel EP avec un Precipitation à la croisée d’un sampling malmené et d’un jazz névrosé où surnage le spectre d’Ol’ Dirty Bastard revenu d’entre les morts.

Obsédant comme les morceaux les plus ténébreux et hallucinés du soundtrack de Twin Peaks ou un instru du Third Eye Foundation circa You Guys Kill Me, Parimeter Pyrites fait basculer cette dimension jazzy et imagée aux échos de manif pour les droits civiques encore un peu plus profond dans l’abîme, tandis que Prologue, par la biais des récriminations de Malcolm X, de nappes de crins perturbants et de percus africanisantes, évoque la révolte afro-américaine du mouvement Black Panther et surtout le climat de fin des temps et d’extrême fatalité qui devait régner à l’époque, entre assassinats politiques et persécutions policières, une atmosphère plombée que Bethaniens Dust renvoie dos à dos à l’exaltation de vie et de liberté d’une sample afrobeat en intro.

Samples toujours et scratches déliquescents à l’appui, le diptyque cinématographique Notes on Defness avec ses drums désagrégés, sa contrebasse au groove malade et ses digressions opiacées ressemble à la bande-son lugubre d’une version alternative de l’histoire, dystopie raciale qui est peut-être encore un peu la nôtre,  mais finira par célébrer pêle-mêle dans sa seconde partie tout l’héritage des musiques africaines sur la scène expérimentale d’aujourd’hui. Enfin, l’insidieux Sentinel on Forty Fifth, un peu le In Bristol with a Pistol du bonhomme, se penche via son monologue de stand-up sur une certaine culture hip-hop où le décompte des corps compte plus que la musique, une conclusion fantomatique qui laisse la porte ouverte à toutes les ambiguïtés. Alors, la liberté ou la mort ? Fabuleusement évocatrice, la musique de Bethaniens Dust se nourrit-elle de l’une pour conjurer l’autre ou pour la magnifier ? Peut-être que sa prochaine sortie nous le dira…

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