Jeremiah Cymerman – Decay of the Angel

Commencer une chronique par de l’autopromo va un peu à l’encontre des règles tacites de la chose… à moins que l’évènement ne soit à la hauteur de la transgression ? Vous jugerez par vous-mêmes, ou du moins les Parisiens jugeront puisque Des Cendres à la Cave a l’honneur, en collaboration étroite avec IRM, de convier Jeremiah Cymerman, ex pensionnaire du label Tzadik de John Zorn, à se produire pour la toute première fois en France sur la scène du Vent Se Lève, 181 avenue Jean Jaurès. Une affiche qui l’associera le 31 octobre à l’excellent Ensemble Economique dont on vous parlait et qui vient de sortir son sixième album chez Denovali, pour une soirée résolument sombre et aventureuse qui bénéficiera de l’acoustique idéale de cette petite salle cosy du 19e arrondissement de la capitale.

Pour cette venue en solitaire, le jeu de clarinettiste pour le moins atypique de Cymerman devrait être à l’honneur, une approche qui loin des standards jazz louvoie chez lui aux confins d’une avant-garde atonale et du dark ambient le plus viscéral, empilant en couches anxiogènes les feulements, dissonances et autres souffles cacochymes de l’instrument. A l’inverse du génial Sky Burial d’il y a cinq ans qui bénéficiait d’un saxophone et d’une paire de trompettes en plus de la clarinette du New-Yorkais, Decay of the Angel a été accouché dans cette même réclusion, et s’il s’avère légèrement moins schizophrénique que le chef-d’œuvre de darkjazz expérimental sus-nommé, il n’en est pas moins tout aussi dense et angoissant, un orchestre infernal de drones fuligineux, de stridences névrotiques et de lacérations analogiques sous-tendant les gémissements insidieux que le musicien tire de son anche amplifiée aux sonorités hautement triturées – des pionniers de l’ambient électronique et de la manipulation de bandes tels qu’Éliane Radigue ou William Basinski figurant en effet parmi les influences avouées du musicien.

Au gré de ces 7 titres, le champ des possibles semble infini, qu’il s’agisse des modulations tortueuses de The Violence of Stupidity, des cascades glitchées du fantasmagorique With Ten Thousand Shields and Spears, des stridulations de damné du bien-nommé Spheres of Dissonance, sommet cauchemardé de l’album, ou des larsens désincarnés de The Canto of Ulysses. Mais même lorsque le jeu de Cymerman se fait plus « conventionnel » – quoique toujours profondément atmosphérique, jamais bien loin dans l’esprit de l’ambient jazz de labels scandinaves tels que Rune Grammofon, Jazzland ou Hubro par exemple -, flirtant avec les traditions orientales sur le final de The Canto of Ulysses, la musique classique contemporaine minimaliste sur la conclusion Out of Many Waters, relative goulée d’oxygène après 55 minutes en apnée, ou même, de loin, le folklore yiddish cher à Tzadik sur The Body Becomes Fetid, le résultat n’en reste pas moins fantomatique voire carrément morbide sur ce dernier.

Quant au morceau-titre, du haut de ses 22 minutes bourdonnantes et feutrées, il s’agit forcément de l’une des pièces maîtresses de ce nouvel opus, serpentin angoissant qui paradoxalement s’avère d’autant plus claustrophobe dans ce quasi dénuement où chaque digression résonne avec d’autant plus de poids par contraste avec le purgatoire de silence oppressant et d’interférences magnétiques servant de background mouvant et mutant au morceau, jusqu’à son crescendo final aux airs de vortex vers l’au-delà. Vivement le 31.

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