Mange Ferraille – s/t

Au début, on suit surtout la batterie (Etienne Ziemniak). Tribale, bloquée sur la répétition des mêmes motifs, elle structure complètement Rayon Vert, premier morceau maousse de Mange Feraille. Sur le suivant, Monument, c’est la basse (Anthony Fleury, ex-Fordamage) qui mène la danse quand sur le dernier, Lame D’Aiguille, d’une courte tête, on s’intéresse plutôt à la guitare (Thibault Florent, membre de pAn-G, collectif auteur d’un chouette Futurlude plus tôt dans l’année) . Mais bon, c’est très subjectif tout ça et selon les écoutes, il arrive que l’orgue (Anthony Fleury toujours) finisse par tout recouvrir jusqu’à enfermer les neurones. Drôle de disque : Mange Ferraille de Mange Ferraille donc, pas de chant si ce n’est celui des instruments. Enfin, plutôt leur frottement et leur cri. Un trio guitare-basse-batterie aride qui manipule un orgue pour rehausser l’écorché. Portée par sa répétition extrême, la musique a un goût d’acier travaillé à l’ébarbeuse ou de béton fracassé à grands coups de marteau-piqueur. C’est industriel bien sûr mais ça l’est bizarrement. Ça crisse, ça rabote, ça écrase et ça pilonne mais c’est tout le temps prenant et on ne sait plus très bien au final si on est paumé dans la jungle urbaine ou au fin fond de la lande déserte. Les morceaux sont longs (de sept à dix-sept minutes) et se transforment systématiquement en drones hargneux. C’est surtout complètement hypnotique et jamais abscons. Pourtant, ça pouvait l’être : l’ensemble est tellement sec et répétitif qu’il pouvait ne rien s’y passer. C’est exactement l’inverse qui se produit.

Dans un premier temps, le paysage sonore semble figé mais on perçoit très vite une multitude d’accidents qui viennent émailler la morne progression : l’orgue qui d’un coup explore les soubassements ; les cymbales, jusqu’ici très discrètes, qui se retrouvent subitement tant malmenées qu’elles déchirent l’espace alentour ; la guitare qui abandonne son mode scie circulaire pour se mettre à raboter ou la basse qui balance sans prévenir une onde dévastatrice qui déchire les enceintes. C’est surtout tout le temps tendu. Toutefois, les morceaux ne rompent jamais et le disque conserve son intensité tout du long. Tout est à tel point enchevêtré, chevillé et mélangé que les pièces deviennent labyrinthiques alors même qu’elles filent droit devant. La musique pourrait accompagner n’importe quel chantier BTP sans se faire remarquer mais c’est pourtant tribal en diable et ça fait danser à l’intérieur de soi. Les trois morceaux sont également magnétiques sans être complètement les mêmes : Rayon Vert porte bien son nom et évoque aussi bien l’orée du jour que le crépuscule, il est linéaire et se gonfle petit à petit des interventions de chacun. Il n’y a bien que la batterie qui demeure métronomique quand tout le reste mute insidieusement. Monument se montre quant à lui bien plus disloqué, on quitte le rectiligne pour quelque chose de plus heurté et crissant mais à l’intensité démente. La guitare finit par cisailler le cortex, accompagnée de tout un tas d’autres stridences. Enfin, Lame D’Aiguille amalgame les deux premiers : la progression en strates de l’un avec les stridences de l’autre pour un résultat assez bien résumé par son titre. Ça coupe et ça pique.

Puis ça s’arrête abruptement.

Finalement, comment souvent, la musique est ici parfaitement résumée par sa pochette : un outil indéterminé – on dirait bien un serre-joint – sur du béton, l’enchevêtrement de la pièce se détachant de la symétrie du sol. C’est minimaliste mais c’est aussi très attirant.

Tout comme ce disque qu’on ne se lasse pas d’écouter.

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