AUS – s/t / Euternase – L’Amour / High Quality Girls – 3

Une nouvelle fois, on regroupe les chroniques par paquets de trois et on vise la même destination : L’outre-Rhin. Peu de points communs entre ces trois groupes si ce n’est qu’ils s’expriment tous dans la langue de Goethe et qu’ils partagent aussi une esthétique plutôt froide voire congelée.

AUSs/t

Static Age Musik | 01 janvier 2018

Je ne sais rien d’AUS. Si je m’en tiens à sa page bandcamp et à la seule photographie qui y figure, il s’agit d’un groupe entièrement féminin (ce qui n’a évidemment pas la moindre importance) basé à Berlin. En poussant plus loin la recherche sur les Internets, rien. Du coup, on ne peut s’intéresser qu’à leur musique : une basse qui bongue bongue en mode arachnéen, un parterre percussif vraiment tribal, des claviers congelés et une guitare moribonde qui griffe et lacère. Par-dessus, une voix verticale et plutôt grave (qui rappelle étrangement celle des furies de Lié). AUS joue donc du post-punk dans sa version la plus froide et se place dans le sillage d’un Xmal Deutschland (chant allemand oblige) plus vif et réactualisé. Il y a une vibration bien punk là-derrière qui provient en premier lieu du son drastiquement lo-fi qui habille les morceaux – pris sur le vif, probablement dans les tréfonds d’un blockhaus glauque et délabré – ne cachant rien, embellissant encore moins et qui met en exergue la qualité d’écriture d’AUS. Les claviers insufflent beaucoup d’air frais dans ces morceaux ciel de traîne où la mélodie n’est jamais oubliée, la guitare rehausse l’écorché de quelques riffs bien crades qui pourtant n’arrivent pas à saloper la belle tenue de l’ensemble, la batterie apporte un souffle primitif plutôt étrange et procure au disque un côté ritualiste qui lui sied parfaitement. Et puis enfin, la basse. D’accord, on sait, rien de nouveau sous la lune froide du post-punk mais voilà, ça fait toujours autant d’effet d’entendre des lignes qui donnent l’impression de léviter dans le mauvais sens, vous prenant par la main pour vous faire traverser les strates et rejoindre la boule noire qui vibrionne au plus profond du ventre. Il y a beaucoup d’élégance dans ce premier essai et quelque chose d’extrêmement magnétique : Ausgedacht s’inscrit directement dans l’encéphale, les claviers poil à gratter de Kein Licht font de même, pas mieux concernant le nerveux Modern et puis tous les autres si on est tout à fait objectif. Difficile ainsi de résister au charme d’AUS qui montre une grande capacité à refroidir l’espace environnant et à tout repeindre en noir mais qui sonne crânement, comme si rien n’avait jamais existé avant elles.

 

EuternaseL’Amour

This Charming Man Records | 11 mai 2018

On délaisse quelque peu le congelé – quoique – avec L’Amour, premier disque d’Euternase, groupe masculin (ce qui n’a évidemment pas la moindre importance) de Mannheim qui verse plutôt dans le noise-rock et le punk mais avec là aussi une basse à décorner les bœufs qui se montre étonnamment spleenique. Au menu, huit titres enlevés qui défilent vite, portés par une voix déclamatoire à laquelle je ne pige pas grand chose mais qu’importe puisqu’on sent bien qu’elle ne parle ni d’amour ni de petits oiseaux et fait en permanence mentir le titre de l’album. Enfin, si jamais ça parle d’amour, on imagine que ces quatre là s’attachent plutôt à son versant le plus glauque. Pour le reste, la guitare peut se montrer joliment divagante – comme sur Verbraucht Und Kaputt qui du haut de ses huit minutes est aussi le titre le plus long – mais matraque le moindre recoin le reste du temps, la basse est certes maousse mais sort en majorité des lignes vraiment  désespérées – comme sur Sittenstrolch qui se rapproche pas mal d’une marche funèbre – et la batterie claque comme un coup de trique. On l’aura compris, Euternase est exempt de fioritures et pourtant, malgré la grande économie dont il fait preuve, se montre joliment varié et franchement agrippant dans son noise-rock mais pas que ultra-sec et près de l’os. Et puis il y a surtout beaucoup d’urgence dans L’Amour. Il faut dire qu’il a été enregistré en dix-huit heures en tout et pour tout et que ça défile d’une traite, coincé quelque part entre McLusky pour la dissonance élégante et Flipper pour la répétition maladive/le bégaiement des paroles-slogans. Alors bien sûr, tout cela se montre encore un peu vert mais qu’importe, le son tout à la fois clair et grossier, l’ambiance particulièrement maussade et déconstruite où l’on identifie pourtant des bribes de mélodies qui agrippent l’oreille (Schlangenmuster), le côté très sec mais aussi labyrinthique de ces huit morceaux, tout cela crispe légèrement mais séduit encore plus sûrement. À l’image de la chouette pochette, on se retrouve à faire du vélo sur la cime des arbres : c’est extrêmement casse-gueule mais c’est aussi très attirant. (N.B. : le bandcamp ne permet d’écouter qu’un seul morceau, cliquez plutôt sur le lien glissé au début pour accéder à l’album dans sa globalité)

 

High Quality Girls3

Hafenschlammrekords | 09 décembre 2018

On est un peu moins en retard pour celui-ci. Troisième album (comme l’indique son nom) concernant ce trio masculin (ce qui n’a évidemment pas la moindre importance) en provenance de Hambourg. Au menu, post-punk encore mais dans sa version plombée. Guitare saccagée, basse mortifère et claviers futuro-vicelards construisent des morceaux toujours épatants. Il ne faut pas se fier à la très moche pochette sûrement second degré car tout est très rigoureux et ciselé là-derrière. Il faut dire que High Quality Girls existe depuis pas mal d’années et qu’il n’a eu de cesse de polir son amertume pour la rendre toujours plus personnelle. Les méandres de ce post-punk tout aussi incisif qu’exténué sont tout à la fois de guingois et très carrés. Après, comme pour les deux précédents, on ne sait vraiment pas grand chose de ce groupe dont les membres, semble-t-il, aiment jouer avec des bas de laine dissimulant leur visage. Qu’importe, on a l’essentiel : sa musique. Évidemment, c’est très punk, la basse précipite néanmoins le tout vers la nébuleuse post de la chose, la batterie en plastique (une Zoom MRT-3) impulse un rythme souvent fatigué, la guitare délimite les contours, bien aidée par les claviers et par-dessus la voix invective au mégaphone sans jamais trop se presser. Avec tout ça, High Quality Girls met sur pieds des morceaux ultra-efficaces : les presque dix minutes patraques de Ohne Humor avec un melodica lointain et une basse exténuée s’opposent au punk synthético-terroriste du très ramassé Fleish, plus loin on aime aussi l’évidence mélodique d’Analog Fernsehen ou du merveilleux Damals. Pour tout dire, il n’y a aucun déchet sur ce disque. Les neuf occurrences échafaudent un climat monolithique, répétitif mais aussi nuancé, riche en bruits divers et iconoclastes qui débarquent comme ça sans crier gare, à la dynamique majoritairement patraque mais aussi fièrement charpentée et auquel l’Allemand colle vraiment bien. Du coup, on essaie de mettre la main sur les précédents – L.P-2 en 2011 et un éponyme au format CD-R en 2013, tous les deux publiés chez l’excellent Fidel Bastro – mais pour l’instant, rien à faire. Tant pis, il y a de toute façon ici largement de quoi explorer.

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