Bruxa Maria – The Maddening

The Maddening. Une dialectique presque. De ce que l’on entend à ce que l’on ressent, des moteurs supposés aux buts pas mieux définis (et pas sûr qu’il y en ait d’ailleurs), l’objet lui-même et bien plus encore, rien ne rentre dans la moindre case préétablie. C’est en dehors du moche et du beau, de la clarté et du sombre, de l’accablement et de la nécessité d’en découdre, ça renferme tellement d’éléments disparates en quantités tellement infinitésimales que tout finit par disparaître dans le maelström. Ce dont on est à peu près sûr en revanche, c’est que c’est 1. violent (et de plein de manières différentes), 2. drastiquement éclaté et 3. fascinant.
On aurait pu savoir à quoi s’attendre après Human Condition et les splits partagés avec MoE et Casual Nun mais pas du tout en fait. La sidération reste intacte, comme au premier jour, sans que Bruxa Maria ne se réinvente pourtant le moins du monde. Une très étonnante équation tout de même. The Maddening a cette capacité à créer une bulle hermétique dans laquelle ne résonne rien d’autre que sa musique au moment où elle advient. Ça interrompt le flux intérieur, ça court-circuite le réseau interne et on en devient obligatoirement captif. C’est complètement pété et ça atteint les atomes pour les reconfigurer en les mettant tous au garde-à-vous devant chacune des neuf occurrences emmagasinées dans le bout de plastique noir.
La guitare-barbelée déchiquette, enclume, louvoie, suit des azimuts souvent inattendus, se multiplie et se démultiplie puis atomise, la basse est drastiquement jetée et balance son lot de pains vicieux dans la gueule quand la batterie tabasse, entaille et écorche. Une freeture grouillante tapisse le tout. Et puis, la voix. Déformée, triturée, souvent proche de l’hyène perturbée mais étonnamment claire, étonnamment posée sur l’étonnamment profond Zaragoza qui marque l’agonie du disque. Quand tout ça se met en branle, c’est-à-dire tout le temps, The Maddening grave chacune de ses lettres au fer rouge sur les os.

Alors pour l’heure, période virusée oblige, je n’ai pas encore reçu l’objet en lui-même mais je me suis bien familiarisé avec ses morceaux et pour le coup, la pochette symétrique toute en lignes abstraites ne représente pas forcément ce qui se joue en-dessous. Rien de vraiment rectiligne. Au contraire, l’ordinaire de The Maddening, c’est plutôt la ligne brisée. Fracassée. Explosée. La cymbale d’ouverture semble sonner l’alarme. Manière de prévenir que l’on peut encore stopper l’écoute mais pour tout dire, dès l’entame, c’est déjà trop tard. Une fois commencé, on ne peut qu’aller jusqu’au bout. Les titres s’enchaînent et la fin de l’un provoque irrémédiablement la découverte du suivant : ça peut être tribal, furieusement hardcore, légèrement indus, complétement metal, drastiquement punk, très expérimental, régulièrement noise sans s’attarder trop longtemps dans un genre. Chez Bruxa Maria, les genres on s’en fout, les morceaux donnent l’impression de sortir tels qu’ils sont au moment où ils sortent parce que c’est comme cela qu’ils sortent et pas autrement.
Il faut dire que Gill Dread, membre permanente, est toujours entourée de Dave Cochrane qu’on ne présentera pas à la basse et de Paul Antony (des doomeux Ghold) aux baguettes depuis le split avec MoE mais Robbie Judkins (des sauvages Casual Sect entre autres) fait son apparition aux strates de bruit : formule gagnante qui sait parfaitement s’y prendre pour magnifier l’entropie et exacerber le chaos. Sous leurs mains, les morceaux se transforment en larmes chlorhydriques qui coulent en dedans et provoquent des trous fumants sur les plaies. Les brumes bruitistes empoissent l’ensemble, collent parfaitement à notre époque dégueulasse, rajoutent du bordel au bordel et le plus étonnant, c’est que l’on perçoit tout. Ça n’aurait pu n’être qu’une bouillie informe et pas du tout : Wayne Adams fait encore des miracles, empile les couches, organise le maelström et rend perceptible la plus petite intervention. C’est bien pour cela qu’il est si difficile de se détacher de The Maddening.

Ajoutez à cela un propos plus que concerné qui ne relève pas de la simple posture (en passant par Hominid Sounds, 1£ sera reversé au Windrush Justice Fund soutenant les migrants), des morceaux légèrement gémellaires mais surtout complètement différents – le frontal et quasi-trash Manual Labor Vs. Office Dickheads, les plus nuancés The Void ou Zaragoza, l’extrêmement fou Pushed To The Brink Of Madness Then Demonised et j’en passe – et vous comprendrez aisément en quoi The Maddening et par extension Bruxa Maria impressionnent.

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