Buñuel – The Easy Way Out

The Easy Way Out est le deuxième album de Buñuel et il est féroce. Dans absolument toutes ses dimensions. Il est du genre à racler les derniers lambeaux de chair sur les os quand tout le reste a été pulvérisé par les assauts répétés d’une musique incisive et disloquée. À la toute fin, quand tous les tissus et toutes les humeurs ont disparu, il écrase le squelette si bien qu’il ne reste plus rien. Pourtant, The Easy Way Out est loin de n’être que massif et ménage son lot d’accalmies et de diagonales larvées mais dans ces moments-là aussi, il corrode. C’est bien simple, tout y dangereux. La basse expulse des ondes glauques et malfaisantes (Pierpaolo Capovilla), la batterie ne tabasse même pas, elle incise et fracasse (Franz Valente) et la guitare (Xabier Iriondo) s’avère particulièrement inventive dans le spectre immense de l’agression, d’autant plus qu’elle produit souvent des bruits grouillants, des ondes bizarres, des giclées que l’on croirait synthétiques particulièrement acides qui desquament consciencieusement jusqu’à la plus infime particule des corps qui barrent sa trajectoire. Et puis, bon, voilà, il y a aussi la voix d’Eugene S. Robinson. Alors c’est vrai que le dernier Oxbow a ses détracteurs (dont je ne suis pas) mais force est de constater que le bonhomme est toujours en pleine possession de son art singulier du feulement, de l’invective, du cri étranglé, de l’expulsion dégueulée, bref de tout ce qui fait que l’on reconnaît immédiatement son blues vocal quel que soit l’endroit où il le pose. Une belle réunion de tueurs qui savent très bien comment s’y prendre pour que la moindre seconde sonne comme s’il elle était la dernière. The Easy Way Out ne fait ainsi jamais mentir son titre. Avec lui, la sortie est assurée et est obligatoirement définitive. Le truc happe dès Boys To Men, son tchack poum lancinant mais néanmoins menaçant acoquiné aux borborygmes caractéristiques d’Eugene, ses moments de silence inquiets qui préparent à l’explosion qui ne vient jamais. La tension, elle, persiste tout du long et ne retombera pas.

On reste en permanence sur le qui-vive parce qu’on ne sait jamais vraiment ce que Buñuel réserve : «fuck fuck fuck fuck fuck», c’est exactement ce que l’on ressent à n’importe quel moment de n’importe quel morceau. On tente de s’enfuir devant eux mais rien n’y fait, ils nous rattrapent systématiquement. Qu’ils choisissent de nous enserrer le cou de leurs mains dégueulasses (The Sanction, The Roll ou Hooker) ou de nous fracasser la gueule (The Hammer/The Coffin, Dial Tone ou l’incroyable Happy Hour), on ne peut s’y soustraire et ça fait mal tout le temps. Percussif, anguleux, accidenté, The Easy Way Out est encore plus sidérant que leur A Resting Place For Strangers (2016) car Buñuel a encore épaissit l’impact de son noise-rock toxique en nuançant ses attaques. Sur celui-ci, la paranoïa fait son apparition et les morceaux se gorgent d’une sorte d’onirisme angoissé qui en décuple l’envergure. La rythmique est inarrêtable, particulièrement oblique et on a souvent l’impression que le groupe cherche à ne surtout pas structurer son propos pour échapper à toute tentative de standardisation, un peu comme s’il mettait un point d’honneur à brûler le mode d’emploi de la moindre seconde pour ne surtout pas la répéter. La musique de Buñuel n’est pas seulement vénéneuse, elle est aussi exploratoire. Du coup, quand la curée s’achève enfin – et bizarrement, elle donne l’impression de s’achever vite – on retient surtout la folie qui l’anime. Aucun morceau ne se détache des autres puisqu’ils sont tous également sidérants. On se perd très vite dans un réseau dont les nœuds sont agencés selon une logique obscure et illisible, une logique qui n’est pas la nôtre et qui n’appartient qu’à Buñuel. Franchement, on a de plus en plus de mal à utiliser le vocable «chef d’œuvre», tellement galvaudé, usé jusqu’à la moelle mais je crois bien pourtant qu’avec The Easy Way Out, on en tient un. Singulier, novateur et tout simplement époustouflant. Comme le suggère l’escalier faiblement éclairé de la pochette, il constitue une descente aux enfers que l’on ne remontera jamais.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *