REiNDEER667 – 667 HEARTS of DARKNESS

2018, une sale année pour le fondateur de feu Decorative Stamp – label qui fut un peu l’Anticon anglais des 10s pendant une paire d’années – qu’il a su transformer en pain béni pour les amateurs d’alt-rap sagace et atypique. Entre le décès de sa mère avec laquelle il entretenait une relation fusionnelle et un suicide manqué qui semble envenimer des rapports déjà compliqués avec son paternel, James Reindeer aurait pu sombrer mais sa créativité intarissable et débridée en a décidé autrement.

Après l’atmosphérique et habité Field Reports from the Western Lands aux élans post-rock, le plus métissé et surtout fabuleux SiNALOA GUNSHiP WARLORDiSM en forme de trait d’union entre le Wu-Tang Clan et le néo gangsta east coast du label Griselda Records de Westside Gunn, Conway et compagnie qu’il détourne avec la conscience politique et l’humanisme sous-jacent qu’on lui connaît, puis dans la foulée l’excellent BLACK HELiCOPTERS over FEMA Camp L​.​A. en guise de cousin antimilitariste et antifa de ce dernier, 667 HEARTS of DARKNESS est ainsi le quatrième long format de l’année pour le Britannique, sans parler de cette demi-douzaine d’EPs plus ou moins aboutis, du work in progress 667 Miami Nights et des mixtapes The 667th TAPE ou 667: EXTENDED CLiP qui compilent quelques-uns des sommets de ces sorties autoproduites successivement lâchées sur sa page Bandcamp.

Épaulé à la production par le Teuton SMOKEY131, celui qui signe désormais du pseudo REiNDEER667 – un nombre déjà assimilé à Decorative Stamp et au collectif de l’époque qui l’associait à James P. Honey, Babelfishh, Edison, lmntl819, Evak et quelques autres et voué à laisser le diable derrière soi – se donne sur les réseaux le patronyme d’Hassan ibn al-Sabbah, du nom du fondateur de la Secte des Assassins, et apparaît également aux platines sur ses disques sous l’alter-ego 667thHEBREWUZiGOD. Des connotations religieuses et vindicatives qui ne font pas pour autant de 667 HEARTS of DARKNESS une apologie de quoi que ce soit, comme en témoigne notamment l’ambivalent PRAiSE the LORD / 667 Science Project Blocks in FLAMES opposant foi aveugle et quartiers sous les bombes, ou croyance et science jusque dans son titre duel.

Car cette sortie-là en particulier est bien difficile à cerner, à la mesure de sa pochette signée Mr Yellow Balaclava comme celle de SiNALOA GUNSHiP WARLORDiSM deux mois auparavant, un artwork qui le représente en Christ assassin voilé et affublé d’un tatouage en forme de cœur sur le front. Entre noirceur désabusée et introspection bercée par des samples de musique soul (Summer is GONE), quête de spiritualité et regard presque journalistique sur notre monde en combustion, critique ouverte du complexe militaro-industriel et interjections fanfaronnes de rejeton des quartiers, le plus important finalement c’est que la musique soit encore une fois intrigante, fascinante, fidèle au goût du Britannique pour toutes sortes d’hybridations instrumentales ou rappées, à l’image ici de Don’t Ever Try to Play Us où une voix enregistrée donne des conseils pour se débarrasser d’un corps sur fond de bossa pastorale ou du génialement fantasmagorique Beneath Burning Skies of BABYLON dont l’alt-rap contestataire rythmé par une vraie batterie lo-fi fourmille de blips électroniques et de drones en apesanteur.

Étrangement, malgré son titre, cet opus est le moins ténébreux des quatre : pas de Description of a Struggle ou de Post Skriptum 667, encore moins de Bava Argento Deodato / About to SPRAY You OUT, le chef-d’œuvre horrifique et morriconien de SiNALOA GUNSHiP WARLORDiSM à faire passer Dälek pour des boy scouts. Les hélicoptères planent certes toujours au-dessus de nos têtes et Winter Dept. No.667 ou It’s Gotten Darker Outside… aussi bien dans la frustration qui émane du flow de Reindeer que pour leurs claviers et basses insidieuses ne sont pas sans évoquer les Soul Assassins, autre influence prépondérante sur les sorties précédentes de l’Anglais. Mais d’emblée les nappes de violons synthétiques d’Apocalypse Now / BMX is DEAD instaurent une mélancolie qui persistera sur le soulful Hood Morning, CIA, en dépit de thématiques géopolitiques et criminelles d’un monde que l’onirique et transcendantal Journey [three pyramids] appelle ensuite à laisser derrière soi au profit de préoccupations plus spirituelles.

Avec son abstract au spleen délicat, Sunrise on the Last Day [three platoons], directement adressé à Washington et sa politique anti-immigration déshumanisée, sonne comme une élégie pour les victimes des milices aux frontières, « chinga la migra ! » lance d’ailleurs un Reindeer à fleur de peau dont les morceaux les plus engagés sont aussi parfois les plus doux. Horreur des travers de la colonisation et plaidoyer pour la liberté de tous, le morceau-titre s’avère tout aussi méditatif et cristallin, de même que le psychédélisme en suspension de 667 Impaled Riders, le jazzy Electronic Revolution No.667 pourtant vrillé de scratches schizophréniques ou encore un Dawn of the DEATHCRUSHER aux allures de mantra pour l’émancipation des masses que de constantes onomatopées à la Westside Gunn n’empêchent pas de briller par une grâce aérienne définitivement plus proche de l’ambient que du hip-hop.

Il faut parfois plonger au cœur des ténèbres de ses propres contradictions pour y retrouver un peu de lumière et de sérénité, c’est plus que jamais ce que James Reindeer semble avoir fait sur cette nouvelle réussite en clair-obscur et l’on a déjà hâte d’entendre ce qu’il en résultera sur son prochain opus sûrement prévu, si ce rythme effréné se maintient, d’ici la fin de l’été.

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