Computerstaat – In The City

Douze titres dont on aura bien du mal à déterminer le pedigree : Computerstaat se balade quelque part au cœur de la grande nébuleuse post-punk et n’en retient de prime abord que le côté punk. Pour le reste, cold wave, new wave, EBM, synth-punk ou quoi que ce soit d’autre, c’est un peu tout ça mais rien de tout ça. «Toujours l’esprit, jamais l’étiquette» prévient le duo parisien et c’est totalement vrai. Ce qu’on retient surtout d’In The City, c’est qu’il a beau porter en lui des réminiscences d’autres trucs entendus ailleurs (de Suicide à Kas Product pour tracer un segment forcément réducteur), il emprunte une voie qui n’appartient qu’à lui. La guitare rageuse (Mathieu) et le clavier en surchauffe (Natasha) dessinent des morceaux vindicatifs cachant de gros bouts de tristesse à l’intérieur. Oui, ça n’est pas nouveau mais pourtant, ça se détache facilement du tout-venant parce que c’est joué avec l’énergie du désespoir et on sent bien que la moindre petite note est balancée comme si elle devait être la dernière, ce qui donne beaucoup d’ampleur à l’ensemble. On retrouve également énormément d’engagement dans le chant qui n’est pas étranger à l’obtention de ce glacis punk qui intervient pour beaucoup dans la singularité de Computerstaat. Du coup, on a souvent l’impression d’entendre quelque chose qui débarque des ’70s agonisantes/’80s balbutiantes alors que l’album ne paraît qu’aujourd’hui et qu’il englobe beaucoup d’éléments contemporains dans sa façon d’amalgamer à tout-va notamment et dans son exaspération tendue en particulier qui apparaît clairement comme un trait saillant de notre époque de merde. Bref, In The City accompagne particulièrement bien les circonvolutions stressées/tracassées du quotidien et devient la bande-son exclusive de la déclinaison que tout un chacun fait de la vie. Salutaire et réaliste, implacable et tracé au charbon, le disque agit comme une grosse seringue plantée au beau milieu de la matière noire environnante, la restituant à grandes eaux à la sortie des enceintes.

Du coup, la grande question est : a-t-on vraiment besoin de ça ? Y a-t-il un intérêt à écouter quelque chose qui agit comme un miroir ? Bien sûr que oui. Non content de partager quelques hématomes avec Computerstaat, sa musique – dans une certaine mesure – agit comme un exorcisme. Elle appuie là où ça fait mal et ça fait du bien, on se sent un peu moins seul dans sa bulle hermétique. Du coup, les Ich Bin Klein, Politics, War et autres morceaux élégamment furibards trouvent facilement leur place sous la peau et y diffusent leur venin gris. Ténue mais pas moins tranchante, la guitare griffe l’espace alentour, le MS10 plante un champ de ruines et les voix rageuses fracassent tout ce qui tient encore debout (un climax parfaitement résumé par la chouette pochette de Raphaël Tachdjian à bien y regarder). Radio qui ouvre les hostilités tient du manifeste : batterie en conserve, guitare maousse exsudant un riff quasi-stoogien, voix narquoise et nappes vrillées jouent au chat et à la souris avec une belle urgence. Vient ensuite le bourdon de Crypt et déjà, on est ailleurs : minimaliste, très sec et très agacé, le morceau se recroqueville sur lui-même et s’oppose à l’explosion du premier. Ensuite, c’est toujours pareil et donc toujours différent : chant féminin ou masculin, guitare en avant ou planquée dans l’arrière-plan, parterre hérissé ou caoutchouteux, curseur bloqué sur la borne strictement punk (Ich Bin Klein, Wild Touch et quelques autres) ou bien franchement post (Politics, Negativ, War et quelques autres) mais le plus souvent pile entre les deux (les formidables In The City ou Why par exemple). Le disque est ainsi infiniment varié et prend le temps de développer ses idées jusqu’au bout du bout ce qui le rend particulièrement racé. En outre, la captation très naturelle de Nicolas Duteil et la masterisation de Mikey Young apportent un son idoine au groove tout à la fois efficace et émacié de ces douze morceaux rageurs qui n’ont de toute façon besoin de rien pour briller.

Du coup, on comprend bien la réactivation de No Reason (après un hiatus de quinze années) et la création d’un label par les Nîmois de Trou Noir Disques pour l’occasion : In The City de Computerstaat est tout simplement à tomber.

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