CONVULSIF – CD3

De prime abord, si l’on s’en tient au line-up (Jamasp Jhabvala, violon et électronique ; Christian Müller, clarinette et électronique ; Loïc Grobéty, basse et chant ; Maxime Hänsenberger, batterie), on s’attend à ce que des mélopées voluptueuses s’échappent des enceintes et recouvrent l’espace d’un tapis électroacoustique élégant et charnu. On attend du jazz. En revanche, pour peu que l’on s’en tienne à la jaquette, on se demande si les neurones n’ont pas fait fausse route. La tache de Rorschach qui l’ornemente précipite plutôt l’esprit dans les contrées sombres des étagères, là où l’on range les disques crispés et méandreux (le noir et le gris de la créature qui se tient là rappellent d’ailleurs plus ou moins ceux du Temple Of The Morning Star de Today Is The Day). D’autant plus que le line-up précité se cache sous le patronyme de CONVULSIF. Envolé le jazz, place aux spasmes et aux incantations. Et c’est exactement ce que donne à entendre la Part 1. Mouvante et martelée, elle entame une fuite en avant définitive vers l’anéantissement d’un mur invisible qu’elle seule voit. Elle peine à refréner les ondes stridentes qui s’en échappent, violon et clarinette hurlant de concert, la batterie et la basse tabassent tout ce qui bouge et nous avec. La clarinette tente un solo, surnage un instant mais se retrouve impitoyablement noyée dans la masse et subitement, ça s’arrête. Le silence larvé qui envahit la piste met en exergue ce que l’on vient d’entendre et se montre tout aussi bien vu que bienvenu. La tension est maintenue et amène idéalement la Part 2, répétitive et endémique, portée par une basse martiale constituant l’ossature autour de laquelle s’enroulent tous les autres instruments. Jusque-là, la musique se tenait debout, dans une course effrénée contre le temps et maintenant, elle rampe et fait corps avec lui. Tout cela se montre un brin aliéné au même titre que la voix dérangée qui hante la Part 3. Un cri ? Une complainte ? Un mantra ? Un truc pas net en tout cas, qui s’insère parfaitement dans le maelstrom fuselé se tenant en-dessous. Rien à voir avec le drone sépulcral qui suit et encore moins avec la Part 5, sans doute la plus structurée, peut-être aussi la moins surprenante. Car c’est bien quand CONVULSIF efface le cadre qu’il accapare, dès qu’il devient carré, une part du mystère s’enfuit. Toutefois, les riffs de basse laissent rapidement la place à un beau bazar et on retrouve bien vite le vortex grouillant qui constitue l’ordinaire de ce CD3 assez impressionnant. Cinq titres, ce n’est peut-être pas beaucoup mais leur intensité est telle qu’en mettre plus s’avère inutile.

 


Comme son nom l’indique, deux autres albums ont précédé celui-ci et chacun a visé le mélange des genres, dans des styles certes différents mais dans l’amalgame avant tout. Territoire musical hérissé accueillant qui veut participer, CONVULSIF cultive l’improvisation et s’impose un dogme : garder la même composition mais la métamorphoser en fonction du line-up, des arrangements et des aspirations de chacun. Et là où on l’on pouvait encore trouver quelques parties acoustiques sur les CD1 et 2, le 3 ne conserve aujourd’hui que l’électricité. Clarinette et violon amplifiés subissent nombre d’effets, l’électronique déborde et la basse titanesque n’est jamais esseulée dans les compositions-improvisations de CONVULSIFLoïc Grobéty, tête pensante du projet et seul maître à bord explique d’ailleurs avoir stabilisé le groupe autour des membres actuels puis creusé l’exploration du métal extrême. Il en résulte quelque chose de plus libre et de plus fou. On y entend évidemment beaucoup d’éléments issus des sphères black ou doom mais aussi du grind, du jazzcore, de l’ambient et du drone recouverts d’échardes noise pour un résultat extrêmement varié mais paradoxalement monolithique où prédominent la nuit et le froid. Jusqu’au-boutiste et sombre, la mixture convulse fièrement et l’exécution habitée des cinq titres de l’album suffit à faire naître ce qu’il faut de sidération pour qu’on y revienne souvent. C’est court – une petite demi-heure – mais c’est aussi très dense et l’on oublie bien vite toute notion de temps face aux assauts répétés de la machinerie suisse. On se déplace sur un segment reliant Sunn O))) à Monno et si tout ne brille pas toujours par sa grande originalité (le début de la Part 5 encore une fois), les déflagrations continues permettent in fine d’adhérer à l’ensemble de ce CD3. Fulgurant mais aussi très bien rangé, on s’étonne d’abord que rien ne dépasse et l’on se rend bien vite compte que l’absence d’accident n’altère absolument pas le propos majoritairement accidenté. C’est qu’en intellectualisant à ce point sa démarche, CONVULSIF avait tout à perdre puisque le metal se nourrit aussi de spontanéité. Le risque était grand de sombrer dans une surenchère sans âme où seule l’exécution clinique est tolérée or, en injectant des enclaves improvisées et autonomes à l’intérieur même de leurs morceaux, les Suisses coupent toute possibilité de retraite et s’interdisent par là même de devenir des petits robots du bruit. Dès lors, si la musique de CONVULSIF est à ce point ciselée, on finit par se dire que c’est pour mieux pénétrer les couches tendres de l’épiderme et balancer une multitude de stylets soniques et contondants sur le cortex pour y faire le maximum de dégâts.

Parfaitement équilibré, touche-à-tout et filant droit devant en injectant force expérimentation dans ses amoncellements extrêmes, CONVULSIF commet un CD3 monolithique et oppressant, certes, mais surtout jubilatoire et brillant.

leoluce
 

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