EXEK – Some Beautiful Species Left

Some Beautiful Species Left est infiniment étrange. De prime abord, on n’y comprend rien. C’est tout à la fois très flou et structuré. Les morceaux commencent on ne sait trop comment et s’achèvent dans le brouillard. Les lignes de basse sont solides mais ferraillent avec des claviers en roue libre. La guitare est fantomatique mais aussi déterminante. Parfois, c’est drastiquement lugubre (Some Background) et à d’autres moments, on se croirait sous une boule disco dégénérée reflétant les photons au petit bonheur la chance (Unetiquetted).
C’est bien noir.
C’est très éclatant.
C’est vif souvent mais patraque tout le temps.
EXEK met sur pied un drôle de truc qui renvoie toujours autant à PIL mais se rapproche aussi de (feu ?) Girls Pissing On Girls Pissing voire de RAKTA sans les soubassements sauvages des premières ni le côté ritualiste des secondes. Pour le reste, on est à peu près au même niveau de bizarrerie mais celle d’EXEK se situe surtout au niveau du son. Modelé, ciselé, trituré, chargé d’écho, il forme une gangue malléable et indéterminée d’où s’extirpent les morceaux.
Ça commence par les sept minutes et quelques d’Hobbyist et on comprend d’emblée que rien ne sera simple : des coups de violon entaillent l’espace, la voix débarque – lointaine – et la basse bégaie. En-dessous, les nappes s’épaississent petit à petit. EXEK suit un chemin pas vraiment droit mais vraiment flou, cérébral et perché. Juste après, Lobbyist sonne drastiquement post-punk mais ça ne dure qu’un temps, très vite le morceau se délite et s’en va explorer des voies autrement expérimentales amalgamant une multitude de sons (trompette, piano, bruits divers, …). Deux titres seulement mais déjà de multiples facettes. Un pied dans la tradition et l’autre qui s’évade.
Some Beautiful Species Left touche ainsi autant au post-punk qu’au dub, à l’avant-rock qu’au breakbeat, au kraut qu’à l’expérimental et malgré ses éléments pour le moins disparates, il n’apparaît jamais comme un patchwork épars et sans cohérence.

C’est qu’il s’agit déjà de leur troisième album (après Biased Advice en 2016 et Ahead Of Two Thoughts en 2018) et qu’EXEK a creusé son crédo. Tout ce que l’on entend ici était déjà en germe dans les précédents et pourtant Some Beautiful Species Left déstabilise comme aux premiers jours. Il faut un temps d’acclimatation – les morceaux ne se révèlent pas immédiatement – et accepter les errances, le tarabiscoté, la mise au point permanente entre le très net et le très flou. Et alors qu’il décontenance, petit à petit, via sa construction au cordeau, il se révèle et fait son trou.
Lobbyist, le chouette Plastic’s Sword Retractable au mitan du disque ou encore How The Curve Helps, tous tendus et de guingois, alternant entre vraie noirceur et passages plus solaires se montrent certes retors mais encore plus attirants. Et c’est exactement la même chose pour tout ce qui les entoure. Indéterminé et fantomatique, Some Beautiful Species Left cache en fait un vrai talent d’écriture qui amalgame le goût pour l’exploration bien perchée et l’amour de la mélodie déviante. La torpeur n’est ainsi qu’apparente, une multitude de choses se passent en sous-main et finissent par atteindre la surface, structurant l’informe et remplissant les vides : au final, tous les morceaux montre une belle densité.
Cette fois-ci un chouïa plus expérimental que post-punk, il n’en reste pas moins que l’on retrouve dans le disque tout ce qui fait la singularité des Australiens : EXEK reste EXEK. Son dub de plus en plus nébuleux mais toujours drastiquement taré, sa guitare qui ressuscite l’air de rien celle de John McGeoch, sa basse mortifère aux lignes recherchées et sa façon d’introduire là-dedans de l’inattendu (des ustensiles de cuisine, des voix captées à la volée, la spatialisation du son, …) font feu de tout bois et in fine hypnotisent. Ce n’est donc toujours pas avec celui-ci qu’Albert Wolski et ses sbires frôleront l’anecdotique.

Excellent.

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