Rakta – Falha Comum

Ce nouveau Rakta est vraiment un drôle de truc. À l’écoute, on se sent obligé de parler de post-punk mais clairement, Falha Comum est tout autre : il englobe des éléments certes caractéristiques – la basse élégamment arachnéenne, les claviers souvent morbides – associés à des choses vraiment curieuses. En premier lieu, ce qui frappe, c’est le travail de superposition impressionnant, en particulier sur les voix, qui loin d’alourdir le propos l’aère considérablement. Les strates s’accumulent et confèrent au groupe une dimension psychédélique insoupçonnée. Bien sûr, cet amalgame singulier entre darkwave minimaliste et velléités intersidérales était déjà à l’œuvre sur III (2016) mais il me semble qu’il n’avait jamais était poussé aussi loin. D’autant plus qu’une vibration très expérimentale est venue depuis se greffer à l’écorché. Dès lors, Falha Comum est de loin le disque le plus étrange de Rakta qui, sans ça, ne manquait pourtant pas d’étrangeté. Dès l’éponyme en ouverture, on sent que quelque chose a changé : la structure tarde à se mettre en place et d’ailleurs ne semble le faire qu’à moitié, préférant laisser la place à une sorte de transe gothique tout à la fois glaçante, mystérieuse et très enveloppante. On retrouve bien quelques accents familiers sur l’impressionnant et cauchemardesque Flor Da Pele qui le suit immédiatement mais ça ne dure que quelques instants et très vite le morceau semble s’évaporer en plein vol pour devenir fantomatique, des zébrures cosmico-barrées investissant la place avant que tout ne retombe miraculeusement sur ses pieds. Encore une fois : un drôle de truc. Et il ne s’agit là que des deux premiers morceaux.

Le trio brésilien – Carla Boregas (basse et électronique), Paula Rebellato (claviers) et Maurício Takara (en remplacement de Nathalia Viccari à la batterie) – donne vraiment l’impression d’avoir inventé quelque chose, le post-punk d’un lointain futur. On retrouve certes des choses entendues ailleurs mais jamais agrafées entre elles de cette façon : Rakta habille son psycho-goth d’un souffle très rituel voire ésotérique et cela confère à sa musique un aspect intangible, presque irréel. Claviers déliquescents et électronique pelée apportent beaucoup et enveloppent les morceaux d’une aura spectrale exacerbée par les voix, basse et batterie fournissent la substance qui empêche le tout de n’être qu’ectoplasmique. Le dessein est lui aussi difficile à cerner. On sent bien que la transe (intérieure ou cosmique c’est selon) est recherchée (Falha Comum ou Miragem plus loin) mais le trio veut aussi se/nous faire peur (Flor Da Pele ou encore 笑笑) et le plus souvent, tout se passe comme si on le surprenait là, en plein sabbat, psalmodiant du bout des lèvres un mantra galactique (Fim Do Mundo, Estrela Da Manhã). C’est tout à la fois très ancré dans le bitume (et dans son territoire aussi) et parfaitement aérien, tordu tout le temps, exaspéré et abrasif souvent mais aussi bizarrement accueillant. Les voix désincarnées – même si on n’y comprend pas grand chose – expriment paradoxalement beaucoup, le groove sec s’avère lui aussi très luxuriant et peaufiné et à la toute fin, on est tellement paumé dans Falha Comum qu’on replonge immédiatement dans ses trente-cinq minutes qui semblent durer, du fait de leur incommensurable richesse, bien plus longtemps. Tout comme sa musique, notre attachement à Rakta a quelque chose de vraiment surnaturel.

Magistral.

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