Fragile Figures – Anemoia

Date de sortie : 14 octobre 2022 | Labels : Araki Records, Kdb Records, Atypeek Music

Bien sûr que je suis en retard. Ce n’est pourtant pas faute de l’avoir écouté et de continuer à le faire. Anemoia se révèle d’emblée via les presque dix minutes du remarquable The Collapsing Parts (I & II) qui envoutent immédiatement, irrémédiablement. Fragile Figures, plus que jamais, est un trio en duo. La basse d’un côté (Julien Judd), la guitare et les machines increvables de l’autre (Kai Reznik). Pas de chant, excepté le phrasé de Sasha Andrès sur Coded In Your Blood et quelques samples cinématographiques ou baudelairiens. Les beats rigides imposent un côté martial, industriel et froid ; quand il y a quatre cordes, ça vise le parterre et avec six, ça montre souvent les crocs. Les nappes austères fournissent le liant. Ça joue serré, à l’économie mais les images mentales que provoque Anemoia fourmillent de nuances et de contrastes qui, partant du gris pour rejoindre le noir, s’inscrivent aisément sous la peau.
C’est que les sept titres sont des plus variés, furetant un moment du côté de l’indus pour frôler le post-punk l’instant d’après, touchant du pied le post-rock et du bout des doigts la noise. Le point commun, l’indivisible, c’est le ciel de traîne qui noie les sillons bien noirs d’un disque qui correspond en tout point à sa très belle pochette (photographie d’Éric Antoine). Comme si c’était ses mains à lui qui écartaient la plaie de l’arbre pour nous faire tomber dans un trou. C’est que les titres, partagés entre vraie tristesse et grande mélancolie, font mouche à chaque fois.

On décèle néanmoins quelques ondes, sons ou beats légèrement plus solaires encapsulés dans les paysages majoritairement froids, des petites touches discrètes qui réchauffent et invitent le mouvement, l’initient parfois. Les petits toutcoutoucoutou qui agrémentent le rythme martial du morceau d’ouverture, les nappes carillonnantes de Pulsar, celles plus déglinguées (et très early-Trisomie 21) d’Alkaline Clouds ou encore le beat rebondissant presque caoutchouteux du pourtant bien nommé Noar enferment un peu de clarté dans les propositions par ailleurs très ombrageuses de Fragile Figures. Tout ça fournit nuance et densité à Anemoia et l’empêche de n’être qu’un album sombre de plus.
Il y a de la vie, de l’exploration, des tentatives là-derrière qui rendent l’ensemble toujours (et a minima) intéressant et collent souvent des frissons. Le majestueux Mute en dernière position restera ainsi l’un des morceaux m’ayant le plus accompagné en cette fin d’année moribonde, sa coloration ombrageuse le faisant sonner comme une sorte de Cure sensible et technoïde, évoquant également les belles heures du label du même nom. Mais à bien y regarder, tout dans Anemoia se fraye facilement un chemin pour atteindre les couches les plus tendres du cortex et rester là. Une gageure quand on malaxe une telle matière austère. La sensibilité de Fragile Figures n’y est bien évidemment pas étrangère tout comme son talent pour convoquer toutes sortes d’images (celles qui accompagnent le duo, celles qu’il fait naître à son écoute).

Jusqu’ici, la trajectoire est strictement ascensionnelle et je ne vois rien qui pourrait faire obstacle à sa continuité. Alors, si ce n’est déjà fait, jetez-vous à corps perdu dans ce disque au risque d’éprouver l’anémonie promise par son titre.

leoluce

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