Gláss – Wilting In Mauve

Six titres en 2014, onze de plus en 2016 et aujourd’hui, Wilting In Mauve. Je ne sais rien de ce groupe, juste le principal : sa musique. Un nom qui a plusieurs fois croisé mon empan visuel lors de mes déambulations sur les Internets, quelques belles chroniques ici et là et donc, bandcamp et après une seule écoute, bam !, l’accoutumance.
Gláss, trio de Greenville, Caroline du sud, une guitare (Aaron Burke), une basse (Alex Angell), une batterie (Sam Goldsmith), deux voix. Un dark-rock pour-faire-vite pulsatile, parfois foutraque mais la plupart du temps méchamment vénéneux, un chant exténué et halluciné et, occasionnellement, un saxophone en roue libre et quelques gouttes de piano. Douze titres encapsulés dans une cassette – le format de la gagne – sur laquelle les mots « warm noise » (le nom du label qui correspond un peu à ce que l’on entend) se détachent du fond blanc immaculé.
Quelques morceaux courts, certes mais la plupart dépassent les cinq minutes et c’est très loin d’être du remplissage : chez Gláss, on allonge le temps parce que c’est nécessaire, parce qu’on a des choses à dire et qu’on maîtrise suffisamment le dosage pour rendre les pensées de l’auditeur systématiquement parallèles à celles des morceaux. La moindre occurrence fait naître au creux des entrailles une nuée de bombyx mauves qui ensuite s’égaillent joyeusement dans l’encéphale. D’autant plus que chez Gláss, le mauve vire au noir, les imprécations sont mystérieuses et incantatoires, l’album frôle le sabbat.
Un sabbat étrange, urbain qui reprend les codes du swamp-rock mais les délocalise dans la mégalopole, lui adjoignant une vibration shoegaze qui floute les contours. Une entité remarquable qui, partant du connu, fraie en permanence dans l’inconnu en maniant des choses contradictoires : c’est vif mais patraque, carré mais fuyant, sans surprise mais expérimental, répétitif mais mouvant et ça donne souvent l’impression de se dérober et d’être bâti sur des fondations friables alors que c’est d’une solidité à toute épreuve.
Plus d’une heure d’hypnotisme, c’est impressionnant.

Wilting In Mauve ne faiblit jamais. Il n’y a pas le moindre moment où Gláss relâche son étreinte et l’ensemble a beau être métamorphe, le trio avance droit devant : les merveilles s’enchaînent sans jamais vraiment se ressembler. Heavy Fields en ouverture plante néanmoins les bases : devant, une guitare élégante qui s’emballe sans crier gare et une voix fatiguée que l’on perçoit aisément. Dans l’arrière plan, il y en a une deuxième, plus grave, qui manie un genre d’imprécation. On dirait un mantra récité en sourdine. Elle participe pour beaucoup à la mystique du trio.
Ce premier morceau est pourtant construit au cordeau, ce qui n’est absolument pas le cas d’A Tangled East qui le suit immédiatement. On reconnait sans peine la psalmodie mais elle est devenue free et invite un saxophone qui précipite le tout dans l’exploratoire. Garters rompt avec tout ça tout en gardant le saxophone, en revanche, c’est devenu punk dans l’intervalle et le temps s’est drastiquement raccourci. Trois titres seulement mais déjà une mappemonde et Gláss ne faiblit toujours pas.
La suite est du même acabit, enchaîne les changements de style tout en montrant une identité forte, une grande fluidité, maniant des choses opposées pour construire des morceaux à tomber. Les textes longs, le goût pour la nuance et la complexité, la profondeur de champ, tout cela n’apparaît pas tout de suite et c’est à la toute fin que l’on se rend compte de ce par quoi on est passé.
Petit à petit, une coloration apparaît, une vibration singulière qui resserre la course des morceaux et rend moins perceptibles les changements d’azimut : Boughs, Stretch Marks, l’instrumental Mauve, le long Triage : Étude In Mauve et sa construction à tiroirs ou le magnifique There Was Wisteria final montrent un groupe qui s’autorise tout et dont la suprême élégance, mi-combative mi-résignée, accroche irrémédiablement. Avec Wilting In Mauve, les larmes coulent en dedans, cautérisent les hématomes tout en appuyant dessus et on sent bien que tout ça nous accompagnera longtemps.

Remarquable.

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