Harpon – Béji

Une fois n’est pas coutume, celle-ci arrive très en retard. Mais c’est bien aussi de prendre son temps et d’avoir laissé Béji passer par de multiples phases d’écoute, respectivement frénétiques, espacées puis régulières. Le rouleau-compresseur que l’on pensait sans nuances au début s’est transformé en machine de guerre métamorphe dans l’intervalle. Gros bloc furieux et sans concession, le bestiaire d’Harpon ne se contente pas de multiplier les enclumes, il s’attaque aussi aux neurones. Bien sûr, ça avance tête baissée et ça pulvérise l’obstacle (la triplette inaugurale Lascar / Le Chocaillon / Attelage) mais lorsque le trio choisit de ralentir la cadence, explorant les divers atours de la répétition maladive, il fait tout aussi mal (Vile Colonne, Prince Du Sang, Where’s Bill ?). Partout, tout le temps, l’intensité agrafe. Impossible de s’en défaire. D’autant plus qu’elle est corrélée à une ambiance invariablement glauque qui n’hésite pas à frôler le désespéré. Dès lors, tout ce que l’on peut écouter après Béji sonne systématiquement fade et édulcoré et cela confère au disque un caractère définitif. À chaque instant, le trio donne l’impression de balancer ses diatribes planquées sous la masse, ses riffs contondants, ses ondes disloquées et ses frappes chirurgicales comme s’il s’agissait des derniers et on se retrouve avec un bout de plastique noir qui brûle profondément les mains.

Bestial et retors, Béji agit comme un Harpon : ça coupe, ça déchiquette et ça lacère et quand il ne reste plus rien de l’épiderme, ça s’intéresse aux os et à la matière grise. Les deux derniers titres ne ménagent aucune porte de sortie : A Chaillot, marteau piqueur redoutable, désolidarise tout sur son passage puis Where’s Bill, beaucoup plus insidieux et rampant, finit d’absorber les restes. On se retrouve bien vite à la sortie de Béji, ce qui finit d’asseoir son effet dévastateur : il ne s’éternise pas tout en prenant le temps, par sa répétition pernicieuse, de bien montrer ce qu’il est. Parfaitement équilibré, il est assez long pour qu’on puisse en saisir toutes les nuances et assez court pour l’écouter encore et encore une fois terminé. D’autant plus que ça sonne : parfaitement capté par BenoÎt Courribet (des tout aussi intenses Xnoybis), on sent littéralement les instruments se frayer un chemin dans la chair pour atteindre l’enfoui et résonner avec lui. Exhaustif et obstiné, Béji cartographie l’ensemble du spectre de l’agressivité : tabassage impitoyable, itinéraire plus nuancé, ossature fracturée, son relief se montre bien plus épineux que simplement cabossé et cela permet à Harpon d’élargir son envergure et de décupler l’impact de son noise-rock déjà sans ça particulièrement jusqu’au-boutiste. En cela, on rapprochera les Remois d’un autre trio, de Lozère lui : Pord.

Mais on n’ira pas forcément plus loin concernant les possibles réminiscences décelées dans Béji car le disque se suffit à lui-même et quand on l’écoute, on a l’impression qu’il a toujours été là. Quoi qu’il en soit, nul doute que l’on tient-là une flèche particulièrement assassine – ou plutôt un Harpon – que l’on ne se risquera pas à quitter des yeux désormais.

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