Un violoncelle, un violon et des percussions. Plein. Partout. Tout le temps. L’ensemble parfois rehaussé d’une cithare pour rendre le flot tumultueux encore plus virevoltant. Un disque qui se meut en ondes concentriques et tourne patiemment autour de sa proie, se rapprochant sans jamais donner l’impression de le faire, pour finir par lui sauter à la gorge, cherchant la jugulaire et au final, la trouvant. Un long mouvement qui se découpe en pièces, parfois frontales (Bien Peigné En Toute Occasion), tapies dans l’ombre à d’autres moments (À Saveur De Très Beurre), voire échantillonnées pour tenter d’extraire de l’entropie le don d’ubiquité. Partout, en même temps. Ça se passe par exemple durant le monstrueux Asil Guide, tellement bien nommé. Le violon agile taille sa route, le violoncelle (agile aussi), la sienne et les percussions tambourinent dans l’espace laissé vacant. Complètement disloquées, les presque cinq minutes amalgament tout ce qu’elles extraient des instruments : des stridences, du bruit, du chaos mais aussi des échantillons de phrases dont on peut presque identifier la mélodie. Un patchwork de musiques, bouts de jazz, fragments de contemporain, pincées de folklores, énergie punk. Comme si les trio avait voulu jouer tout ce qu’il peine à contenir dans ses limites que l’on sent exsangues en une seule pièce. C’est franchement sidérant mais, pourtant, In Love With a encore de la réserve.
Plus loin par exemple, on tombe sur Les Flics De La Police et ils ne sont pas très contents. Au début, ils ne font que tambouriner, petites claques et tapotement sur les joues, ils se contiennent encore. Mais sans jamais s’arrêter. Une forme de supplice chinois qui se métamorphose en vrais bourre-pifs au fur et à mesure que les cordes font entendre leur voix. Plus elles gonflent, plus c’est l’hallali. Après sept minutes, la curée s’achève. D’un coup, comme ça, sans prévenir. Percussif et virevoltant, tout à la fois renfrogné et pétillant, vif en permanence, le trio mené par Sylvain Darrifourcq impressionne. Et Axel Erotic de se conclure sur un Chauve Et Courtois un peu plus apaisé mais infiniment touchant, une longue pièce qui exhale une mélancolie diffuse et finit par installer durablement le disque dans la boite crânienne. Avec ses poum, ses tchack, ses ding et ses dong, In Love With ménage une enclave libre et singulière. Violon (Théo Ceccaldi) et violoncelle (Valentin Ceccaldi) cisaillent, partent en pizzicatos délicats avant de tout aplatir à grands coups d’archet ; les percussions, grand charivari métamorphe, tabassent, frottent, peignent, caressent le plus souvent à rebrousse-poil et à tout moment, ce que transmet parfaitement le disque, c’est le plaisir que ces trois-là prennent à jouer. Si les compositions sont toutes de Sylvain Darrifourcq, ce dernier trouve dans les deux autres de quoi les sublimer. In Love With évidemment.
Il faut dire que tout ce petit monde se connaît par cœur et c’est bien ce qui explique pourquoi tout cela tient debout quand le disque cherche avant tout à prendre le contre-pied. Les deux tiers (Sylvain et Valentin) ont déjà par exemple agrafé leurs instruments au sein du MILESDAVISQUINTET! , l’autre (Théo) a frotté le sien à celui de son frère le temps d’une magnifique Loving Suite pour Birdy So avec Roberto Negro et ces deux-là échangent de toute façon leurs stridences au sein de Toons. La liste n’est bien sûr pas exhaustive mais dans la grande tradition du Tricollectif et de BeCoq, ça se mélange à qui mieux mieux et ça se connait à fond.
Dès lors, on ne regrette qu’une chose, c’est que la petite mort arrive bien trop vite.