Insect Ark – Portal/Well

Il y a des concerts qui se vivent comme des rencontres et qui vous marquent pendant des mois. Celui d’Insect Ark, à la Cantine de Belleville en 2013, était de ceux-là. Alors venue pour admirer John 3:16 s’échiner sur sa guitare, la claque majeure fut assénée par Dana Schechter, son doom grisant et ses cents pas dans la salle, accrochée à sa basse. L’épisode avait suffit à ce qu’on guette par la suite régulièrement une sortie consistante de la New-Yorkaise, leader de Bee And Flower et membre des Angels Of Light menés par Michael Gira. C’est chose faite en 2015 avec la sortie de Portal/Well, son premier album, paru en juin chez Autumnsongs Records. Album qu’elle a enregistré en solo, alors qu’Insect Ark compte aujourd’hui une nouvelle recrue, la batteuse Ashley Spungin, présente déjà sur le 7’’ Windless, sorti en juin également sur le très bon Utech Records.

Portal/Well, donc. L’annonce de la sortie par un artwork macabre et cartoonesque – abîme de cyprès s’enfonçant dans les profondeurs de la coquille d’un œuf en lévitation dans une forêt de conte de Grimm – n’avait fait que renforcer l’attente. L’objet enfin dans les écoutilles, le constat est là : c’est bien. Oui, et après ? On peut se retrancher derrière l’argument rebattu selon lequel plus l’attente est grande, plus on risque d’être déçu, ou alors admettre qu’en été, on préfère écouter de la pop que certains disques nécessitent une digestion à leur mesure. Les premières écoutes de Portal/Well donnent ainsi des impressions de bloc massif, presque austère, marqué par la scansion de la boite à rythme, par la progression sourde de la basse et par les chuintements de la guitare lap steel. Sorti de l’immédiateté des excellents The Collector et Portal/Well, la longueur en bouche de l’album s’apprécie par une attention aux détails, ne serait-ce que pour saisir les respirations que sont Lowlands et Crater Lake, sortes de parenthèses arythmiques qui semblent signer des changements de décor. Et en effet, c’est au fil des écoutes qu’on réalise la mise en récit qui imprègne le disque.

La pochette apparaît comme une invitation à des récits fantasmagoriques, certains morceaux sonnent comme des tombés de rideau et l’ensemble se clôt avec une pièce d’ambient funèbre donc les trainées mélodiques ont la moiteur inquiétante des génériques de fin de thriller psychologique. Malgré son hermétisme apparent, Portal/Well semble avoir été conçu par Dana Schechter comme une histoire, une fable d’épouvante dont la structure narrative et les gimmicks de cinéma charpentent le mouvement. En restant suggérée (ou dans notre tête), cette parabole dépasse de loin l’association un peu fruste entre musique angoissante et film d’horreur. Passée la situation initiale, deux morceaux-chapitres, de huit minutes chacun, condensent le nœud de l’intrigue. Octavia s’ouvre avec retenue sur une démonstration de lourdeur. S’installe doucement mais fermement un climat qui ôte toute envie de plaisanter, alors que les perturbations et épaisseurs synthétiques se cumulent en un mille-feuille de noise chaotique et fulminant. On aboutit ainsi sans la moindre déflagration à un marasme sonore d’une trempe manifeste qui, du point de vue de notre histoire, se doit d’illustrer une situation critique, en bordure de syncope. Après cet élément pour le moins perturbateur, le colossal Taalith place au cœur du propos l’idée d’acheminement, de progression lente, pénible et déterminée. Chemin de croix contre les vents.

Au final, de quoi pourrait-il en retourner ? On peut penser que l’œuf extra-terrestre a fait naître une espèce colonisatrice qui infecte les racines des arbres et contamine forêts, villes et humains. Ou faire l’hypothèse que l’embryon de gallinacée constitue l’ingrédient clef permettant l’accès aux portes d’un Salem post-apocalyptique. Dans la lecture des chimères, l’auditeur reste maître de ses propres châteaux et verra donc minuit à sa porte. Quand aux pragmatiques, ils pourront, si le sort leur en dit, apprécier l’expérience en live aux Instants Chavirés, à Montreuil, le 26 novembre.

Manolito

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