Less Win – Given Light

« GREAT » en 2012, Trust en 2016 et aujourd’hui Given Light. Rien n’a fondamentalement changé si ce n’est qu’il y a tout de même deux fois plus de mots. Pour être tout à fait franc, j’avais bien jeté une oreille sur les deux premiers qui délimitaient certes le post-punk typiquement contemporain des Danois (on devrait parler de post-post-post-post-post-punk), c’était des albums bien foutus, portés par une richesse instrumentale somme toute assez inattendue de ce côté-ci des musiques ombrageuses – pas mal d’invités, apportant qui un saxophone qui un violon et cætera – mais peut-être encore un poil en devenir et je ne m’y étais pas attardé plus que ça (avant que Noise ®’Us, une fois n’est pas coutume, ne change la donne).
Sur Given Light, c’est devenu. Pourtant, rien de nouveau, pas de changements drastiques, toujours cet éventail assez large qui partant de The Sound (la voix de History Of Hope), Gang Of Four (The Hanging) et autres mètres-étalons rejoindrait Protomartyr en frôlant la no wave pour faire vite, la guitare élégamment fracturée, la basse capitonnée et les voix très en avant qui se succèdent – sans doute ce qui pose le plus problème cependant car elles semblent forcées, manquent de singularité et en rappellent trop souvent d’autres.
Rien de nouveau et pourtant c’est mieux. Less Win donne l’impression d’enfin exploiter tout ce que permet sa configuration – un trio qui se connait bien, des invités. Les morceaux sont plus nuancés, plus complexes, moins policés, chacun contenant son lot d’aspérités et d’accidents les rendant plus vivants, leur enlevant le vernis convenu qui pouvait encore agacer sur Trust. En multipliant ainsi les azimuts, Less Win se rapproche paradoxalement de lui-même et ne cherche plus à canaliser son énergie, à lui imposer un itinéraire, la laissant désormais suivre ses propres méandres. Les refrains sont également moins outrés, les mélodies plus naturelles, l’humeur plus changeante et tout ça décuple incontestablement l’envergure de sa musique.

Violon, piano, trombone, trompette et ténor trouvent leur place et leur apport devient alors véritable sur la plupart des titres. On aimerait pouvoir faire abstraction des voix (un poil trop envahissantes, trop en avant) pour mieux détailler l’ossature : fracturée, renfermant bon nombre d’idées, bâtie sur des enchevêtrements touffus et foisonnants. Les riffs cisaillent, les percussions tapissent et les ondes de la basse camisolent mais ce triangle resserré est envahi par nombre de radicelles provenant des invités et l’amalgame des uns aux autres donne d’excellents morceaux : l’explosif Tunnel en ouverture, le très changeant Sure I’ve Been Convinced, le ténu Passion’s Puppet plus loin ou les cuivres rutilants mais jamais ridicules de Man Of My Time ou History Of Hope agrippent et ne lâchent plus.
Bien sûr, Less Win se casse parfois la gueule et certains refrains frisent encore le trop-plein en visant l’hymne, il arrive que le trio assène là où il devrait se contenter de suggérer mais sur Given Light, ça reste plutôt rare et on passe in fine un excellent moment avec le disque.
Les morceaux s’enchaînent sans se ressembler vraiment, chacun amenant son humeur particulière – revêche, alanguie, convaincue, … – mais se tenant strictement dans le même halo de lumière blafarde. En empruntant à droite à gauche (il me semble même identifier un carillon Smithien dans la guitare de Casper Morilla), Less Win sonne néanmoins spontané et trouve un équilibre casse-gueule où l’explosion n’est jamais loin mais n’arrive jamais vraiment, où les espaces laissés vacants permettent aux mélodies de s’exprimer mais pas trop non plus, où la gangue chaotique et claquemurée laisse néanmoins rentrer l’air.

Comme le suggère la nature morte déchirée-recollée de la pochette, c’est une musique éclairée à la bougie et les circonvolutions de la flamme souffreteuse entraîne un clair-obscur changeant. L’ombre est toujours là mais avance et recule, grignote la clarté ou se fait croquer par elle. Given Light est un chouette tableau qui, en agençant finement des objets depuis longtemps inertes, rend l’ensemble on ne peut plus vivant.

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