Spectrum Orchestrum – It’s About Time

Quatre années sans nouvelles discographiques. Le Spectrum Orchestrum nous avait laissés en errance dans les méandres piégeux de Suburbs en 2014, amalgame free jazz progressif aux contours flous que le groupe nommait lui-même «sax rock spectral» sans que l’on y trouve quoi que ce soit à redire. Il revient aujourd’hui avec It’s About Time et ce n’est plus tout à fait le même paradigme. Certes, on retrouve la patte fantomatique du quintet, les claviers cosmiques qui s’emberlificotent autour du saxophone aérien, les ondes sépulcrales et élégantes de la basse transpercées par les coups de griffe d’une batterie toujours féline et cette guitare-tête chercheuse qui n’en finit pas d’explorer. La grande différence est finalement bien résumée par le sous-titre : «Improvisarium V».

Cette fois-ci, donc, l’Orchestrum improvise et ça tient parfaitement debout. Ce faisant, il se montre beaucoup plus chaotique qu’auparavant tout en restant indéniablement ce qu’il est. Toujours spectral bien sûr mais aussi diablement expérimental. Et surtout, franchement passionnant. On continue à avoir du mal à définir tout cela, It’s About Time touche à tout – ambient, drone, jazz, free, prog, psycho-kraut, RIO jamais pénible et j’en passe – et le fait d’une manière toujours convaincante. On pense à Faust beaucoup, à Magma un peu, à Univers Zero même (bizarrement) et à tout un tas d’autres choses sans réussir à mettre pile-poil le doigt dessus, le caractère de l’hydre lilloise étant bien trop trempé pour cela.

Un peu comme sa pochette, le disque s’avère bien plus fracturé que Suburbs mais demeure homogène, y compris dans son échantillonnage permanent qui le fait passer de pics furibards en abysses rampants. Les improvisations se succèdent intelligemment, les mouvements sont tout aussi prenants les uns que les autres et se dérobent comme ils étaient apparus, dans l’éther. On a bien du mal à cerner les contours de la musique du Spectrum mais force est de constater qu’on la suit les yeux fermés et l’adhésion est immédiate. Trois morceaux, quarante-cinq minutes dont trente-trois dédiées au second. Complètement différents les uns des autres, complètement mouvants quand on les considère à l’unité. Three To One ouvre le disque et a effectivement tout du décompte. Il ne dure qu’une minuscule minute mais explose tout. Cacophonie hirsute où chacun tente de prendre les devants jusqu’à ce qu’un cri vienne mettre un terme à l’hallali. Et c’est parti pour la demi-heure d’About Time, divisée en trois parties. Difficile d’en parler sans tomber dans les affres de la description inutile. Les trajectoires sont trop nombreuses, les volte-face et les bifurcations aussi. On va tout de même tenter de résumer.

La Part I est bloquée sur sa rythmique basse/batterie bégayante. Ces deux-là fixent le cadre, les trois autres l’explosent. L’enchevêtrement de tout cela donne un mouvement inquiet et pour tout dire captivant, qui gonfle et gonfle et gonfle jusqu’à devenir complètement plombé. Puis progressivement, tout se désunit et c’est là que commence la Part II. Hallucinée et hypnotique. Le parterre est accidenté et même confus au tout début. Ça crisse, ça racle, ça gargouille et ça gronde et on reste captif de ces structures exploratoires qui apparaissent et disparaissent sans crier gare. Pourtant, des mélodies affleurent, le chaos se structure : on est dans la Part III dont on a bien du mal à cerner le début. Elle devient carrément mystique sur la toute fin et s’achève sur des chants presque liturgiques que l’on n’attendait pas. La pièce, dans son ensemble, est impressionnante. Not The End qui vient clore le disque l’est tout autant. Menaçante, mystérieuse et fantomatique, tout à la fois ténue et grondante, elle déboussole et lorsqu’elle s’achève, nous laisse dans des abîmes de perplexité. C’est qu’on a bien du mal à déterminer par quoi le Spectrum Orchestrum nous a fait passer et comment il s’y est pris.

It’s About Time présente une nouvelle facette du laboratoire lillois. Spontané, entropique, métamorphe, énigmatique, psychédélique, le long trip spectral ne s’épuise pas malgré les écoutes répétées. Se baladant sans cesse entre sauvagerie et apaisement, il constitue une fenêtre ouverte sur la psyché du quintet et expose au grand jour ses envies, ses obsessions, ses expérimentations. Et son principal moteur : le collectif. Difficile à cerner peut-être mais impossible à défaire.

Brillant.

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