D’accord, rien de bien nouveau sous le soleil noir : d’abord, des grosses guitares maintes et maintes fois entendues ailleurs. Et puis une basse, maousse elle aussi. La batterie n’est pas en reste, elle martèle ce qu’il faut et tabasse rarement mais quand elle le fait, elle y va franchement. Tout ça fleure bon tous ces trucs à base de metal, hardcore et compagnie affublés du préfixe post. Au bout d’un morceau, on sait déjà qu’on vient d’en faire le tour.
Mais on se plante complètement.
D’abord, là où l’on s’attend à entendre hurlement guttural et cri forcément primal se tient en fait une voix en retrait, claire la plupart du temps, fantomatique et lointaine, enfouie quelque part sous l’épais canevas. Franchement neurasthénique, elle laboure les tréfonds sans jamais effleurer la surface. Ensuite, des claviers – pas vraiment plus guillerets – hantent les morceaux et leur présence renforce grandement le côté purement mélancolique du maelström qui se tient tout autour. Enfin, à bien y regarder, les riffs se montrent salement hypnotiques et visent le spleen plus souvent qu’à leur tour. Curieux mélange. On pensait se retrouver à labourer un pré carré déjà circonscrit (Neurosis, Isis, ce genre, Godflesh aussi) et en creusant les sillons, on se retrouve ailleurs, du côté du post-punk versant The Cure. Disque Janus partagé entre violence et vraie tristesse, lourdeur et finesse, Ghost Pains, troisième album de The Death Of Money, intrigue et surtout, emprisonne. Ici, on travaille les textures, on désarticule l’ossature mais on ne la casse pas, on arrondie juste les angles à la serpe tout en laissant quelques échardes bienvenues lézarder la surface. Bref, on insuffle du poids au manque de lumière et on dessine une musique tout aussi séduisante que retorse, tangentielle et donc floue. Le trio se tient sur les frontières mais n’en franchit aucune et puise toute sa singularité de sa posture funambule. Même quand il invite Jarboe sur un morceau, il fait tout pour qu’on ne puisse pas la reconnaître.
En cela, on le rapprochera volontiers d’autres équilibristes comme True Widow par exemple. Si ce n’est que The Death Of Money est insulaire – ce sont des Gallois de Cardiff – et que cela s’entend. Leur vibration est beaucoup moins doom et rien ne les empêche de balancer un Hospital Bed purement fantomatique et à poil, envahi par une épaisse nappe de brouillard. Leur post-punk arachnéen se double d’accents shoegaze qui achèvent de précipiter l’ensemble dans les limbes. Dès lors, Ghost Pains place beaucoup de légèreté dans un environnement par ailleurs bien plombé et transmet son spleen sans difficulté. Wherever You Are, Running Through Dreams ou Only Everything qui vient juste après exposent leurs hématomes au grand jour et ne cachent jamais leur sensibilité derrière un impénétrable mur du son. Le trio n’hésite pas à réduire les potards pour laisser la mélodie occuper les devants quand le besoin s’en fait sentir et tout cela sans maniérisme aucun. Tout dans la suggestion, rien dans la démonstration. The Death Of Money ne se regarde pas pleurer et ne veut pas qu’on l’accompagne. Il pleure et c’est déjà bien assez. Empruntant ici et là pour dessiner une voie qui lui est propre, c’est bien sur celui-là que le groupe semble s’être trouvé. En témoignent les deux premiers longs formats bien différents, Spirit Of The Stairwell et You Are Loved, où le trio s’appelait encore The Death Of Her Money : les mêmes intentions mais pas encore cet équilibre qui fait sonner Ghost Pains si bien aujourd’hui.
Intense et accaparant, Ghost Pains accompagne idéalement l’hiver déclinant et pousse à se rouler en chien de fusil sur ses idées grises.