Krause – 2am Thoughts

Mind Decay, Death TownSuburban Anarchists Building A Better Tomorrow ou encore Dusk Latitudes, une poignée de titres qui ne trompent pas sur l’humeur générale de ce disque caché sous une élégante pochette à la Minor Threat bleue turquoise/rouge sang. On ne sait d’ailleurs pas trop si la photographie présente une scène de pugilat, d’entraide ou de réconfort.

Désespéré, voire résigné mais aussi insurrectionnel, on a l’impression que Krause – d’Athènes – est un animal blessé au bout du rouleau. Le turquoise rappelle celui de la mer Égée qui borde les îles grecques, le rouge sang, celui des bourre-pifs à répétition administrés par des années de gestion merdique et de plans d’austérité successifs qui empêchent les Grecs d’avoir assez de thunes pour justement les visiter.  2am Thoughts, c’est la bande-son de la Crise, la vraie, celle qui pulvérise tout et ne laisse derrière elle qu’un champ de ruines sur lequel rien ne repousse : la pensée, le collectif, la solidarité, l’humanisme, la politique, tout est enterré, calciné et irrémédiablement désossé. C’est bien ce que leur musique donne à entendre : d’abord, elle tabasse à l’instar d’une batterie tout à la fois vive et psychorigide. La basse n’est pas en reste et laboure plus souvent qu’à son tour les soubassements. Puis viennent les guitares. Elles claquent bien sûr mais tapissent aussi les interstices, en renfort de la basse, ce qui achève de saturer le spectre : impossible de reprendre son souffle, il y a du bruit partout et on suffoque en permanence. Le grain est bien crade et si l’on entend d’abord la rythmique motrice et indéboulonnable, il se passe beaucoup de choses dans l’arrière-plan. C’est là par exemple que l’on trouve systématiquement les voix, toujours enfouies quelque part dans la nébuleuse, balançant des slogans au mégaphone mais n’arrivant pas à percer l’épais brouillard qui se tient devant. C’est ici aussi que se tiennent les riffs. Ils aiment l’attaque frontale – c’est ce qu’ils pratiquent le plus souvent – mais explorent parfois également l’espace intersidéral et adoptent alors de curieux accents psychédéliques que l’on ne s’attendait pas à croiser là.

Sous ses abords de prime abord monolithiques, Krause montre ainsi pas mal de variété dans l’agressivité. Il peut se montrer carnassier mais aussi résigné, triste et en colère et parfois même complètement largué. D’abord, c’est rock’n’roll toute via un Leather Couch qui ne s’embarrasse d’aucune bifurcation en dehors de celles de sa guitare arachnéenne puis crochet par le noise rock versant Unsane le temps d’un Death Town (et de quelques autres) bien plombé. Plus tard, The Last Men s’en va tutoyer les cimes en lançant des riffs solaires bien perchés en fin de morceau et Dusk Latitudes, en convoquant de loin le jusqu’au-boutisme d’un Motörhead patraque, se charge de tout ramener à terre voire bien en-dessous. On ne détaillera bien sûr pas tous les titres mais on voit bien déjà que l’éventail est suffisamment large pour multiplier les écoutes sans jamais lasser. 2am Thoughts s’envisage ainsi d’une traite. On aime particulièrement sa façon d’aller sans détour du point A au B (la rythmique quatre roues motrices que rien n’arrête) et d’infléchir sa course dans le même temps pour ne pas finir carbonisé sur le bord de la route (The Last Men, on l’a déjà dit mais aussi Sleep Of Fools qui vient clore la face B). C’est rugueux tout le temps, impitoyable souvent mais ça relâche son étreinte de temps en temps. Charalampos Kourkoulis et Alexandros Vagenas se partagent les guitares et maltraitent le micro, Kwstas Kangelaris (basse) et Nikos Prapas (batterie) complètent le line-up et tous ont déjà usé leurs doigts et leurs guibolles dans l’underground grec – pêle-mêle VULNUS, Progress Of Inhumanity, Rita Mosss et d’autres inconnus, toujours très éloignés musicalement les uns des autres (black, grind, punk, noise entre autres) – ce qui explique probablement la haute tenue de cet inaugural 2am Thoughts et son expertise dans le bruit et la sauvagerie.

«Krause was formed with the intention of playing 90s-inspired aggressive and dirty noise rock in the vein of AmRep bands» apprend-on dans le communiqué du label et à l’écoute du résultat, on ne peut que s’incliner. Dans le même temps, on ne s’étonne pas de le voir dans le giron de Riot Season (et 3 Shades Of Black pour la Grèce) et on le rapprochera volontiers de groupes comme Tropical Trash, Todd ou Dethscalator, voire Hey Colossus, maniant tous l’agressivité et le gros grain, la vivacité et le patraque. Indubitablement, le psycho-noise plombé de Krause se situe à la croisée de tout ça.

Remarquable.

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