Drôle d’histoire avec The Somnambulist. Commencée sous les meilleurs auspices – on apprend à se connaître, on se tourne autour, l’attrait est bien réel – via Moda Borderline (2010), se muant en amour véritable avec la splendide Sophia Verloren (2012) et bam!, contre toute attente, rupture : Quantum Porn (2017). Sans doute est-ce ma faute. Un disque que je n’ai peut-être pas su écouter. Trop long (soixante-dix minutes), trop bariolé (seize morceaux), il me semblait alors que la suprême élégance somnambule s’était évaporée au profit de quelque chose de plus classique. Varié certes mais trop carré. On retrouvait bien la voix éraillée/veloutée de Marco Bianciardi mais pour le reste, les parfums mêlés débarquant d’un peu partout, la tension intrinsèque, le côté ciel de traîne, tout ça était écrasé par les aplats vifs et des morceaux me semble-t-il un poil trop prononcés. Et voilà Hypermnesiac et donc… l’histoire n’est pas terminée.
Très resserré (un peu moins de quarante minutes). Toujours classique (le triumvirat guitare-basse-batterie fonctionne encore à plein), toujours varié (piano, sax ténor et trombone s’invitent dans l’équation) mais cette fois-ci, la mélancolie, l’intensité et la félinité reviennent vers l’avant et The Somnambulist retrouve ce truc indéfinissable, un peu capiteux, qui faisait l’ordinaire des deux premiers albums. L’ouverture aux quatre vents est suggérée par une multitude de petites touches qui incurvent la course des morceaux. Ils abandonnent leur trajectoire rectiligne au profit d’itinéraires bis plus foisonnants. Ils préservent dans le même temps leur sécheresse, leur tension et retrouvent ce goût pour la mélodie suprêmement classe qui agrippe les neurones. Via la concision, les traits principaux de The Somnambulist sont à nouveau sur les devants et non plus noyés dans la masse.
Une nouvelle fois, le line-up est modifié. Autour de Marco Bianciardi, présent depuis les débuts, on trouve cette fois-ci Leon Griese (batterie) et Thomas Kolarczyk (basse, déjà là pour Quantum Porn mais parti depuis et actuellement remplacé par Isabel Rößler), toujours épaulés par quelques invités (dont Giulio Aldinucci aux soundscapes) et pourtant on retrouve donc The Somnambulist. Comme si la musique – à tel point racée – s’imposait d’elle-même, faisant fi des personnes qui participent à sa construction et accompagnent la guitare et la voix de Bianciardi.
C’est vrai qu’en ouverture, le merveilleux Film en impose et rien ne viendra plus entamer notre attachement au disque jusqu’à sa toute fin. Même le très étonnant At Least One Point At Which It Is Unfathomable, abandonnant les habits sombres pour quelque chose de plus discoïde, enlevé et clinquant, finit par trouver sa place. Les sept morceaux font corps, frôlent plus d’une fois le désespéré sans jamais tomber dans le tire-larmes outré, osent l’amalgame casse-gueule en agrafant quelques refrains fédérateurs à une ossature par ailleurs tendue et ténue, touchent au jazz, à la noise, au psychédélisme ouaté tout en conservant une identité forte alors qu’une nouvelle fois, le risque de dilution était grand.
Les changements d’azimut sont nombreux, l’humeur est également fébrile, Hypermnesiac n’est jamais calé sur une autoroute et louvoie en permanence mais retombe toujours sur ses pieds. Jusqu’à l’ultime (et brillant) instrumental final, The Somnambulist préserve sa précieuse justesse, fait preuve d’une élégance inébranlable et offre un album à la couleur sombre mais pleine, un album extrêmement précis, un album de toute beauté dont il est bien difficile de faire le tour.
Manière de dire que le disque dépasse largement sa longueur et ses sept morceaux et que le trio exsude une musique qui nous plonge plus d’une fois dans la position de la couverture qui la cerne : un saut carpé dans l’espace.
Magnifique.