Happé par la musique instrumentale et en particulier par l’ambient depuis son accident de moto au début de la décennie qui l’avait longtemps laissé convalescent, le producteur canadien Daniel Lanois – dont le nom sonne comme celui d’un chanteur de variété québecois mais ne vous y trompez pas – fait honneur au patronage d’Eno (avec qui il avait travaillé sur plusieurs disques dans les années 80) sur cette collaboration improbable et néanmoins très réussie avec le gourou breakcore de Planet Mu, son compatriote Aaron Funk.
Si le background touche-à-tout du premier est évident, producteur pour Neil Young et Dylan (glop) mais aussi U2 ou Peter Gabriel (moins glop), musicien rock, compositeur de musiques de films, instrumentiste chevronné… celui de Venetian Snares l’est finalement tout autant, des incursions néo-classiques de Rossz Csillag Alatt Született à la synth-pop tordue du side-project Poemss.
Il était toutefois grand temps que quelqu’un vienne donner direction et sens à l’agitation du beatmaker de Winnipeg, qui à l’image du récent et interminable She Began To Cry Tears Of Blood Which Became Little Brick Houses When They Hit The Ground commençait à se renfermer dans son pré carré de beats alambiqués aux textures peu variées. C’est joliment le cas sur ce disque, où les mélodies atmosphériques et narcotiques de pedal steel ou de synthés de Lanois surplombent le chaos pulsé de Funk, embrassant sa folie pour mieux en contenir les embardées (Mothors Pressroll P131) et y puisant dans un même temps une dynamique bienvenue (Night MXCMPV1 P74), jusqu’à finalement tirer le tapis sur un Ophelius 1stP118 étonnamment serein.
Mag11 P82 s’avèrerait ainsi aussi soporifique qu’un ersatz de Music for Aiports sans la débauche épileptique de beats caoutchouteux et de blips sous acide qui en sous-tendent les nappes éthérées, tandis que le tapis rythmique aux échos métalliques d’United P92 serait à coup sûr fatigant sur plus de 9 minutes sans les distorsions oniriques de guitare liquéfiée de Lanois pour en dompter les accès de déstructuration un peu trop complaisants. Mais les passages les plus réussis de cet album à quatre mains sont aussi les plus courts, occasion pour les deux musiciens d’explorer de nouveaux horizons, fantasmagories extra-terrestres sur un Bernard Revisit P81 à la frontière du dark ambient ou downtempo cybernétique de conscience robotique en expansion sur Best P54.
Une réussite en somme, qui culmine sur l’étrange dub hawaïen post-Aphex Twin de HpShk5050 P127, où les deux Canadiens dialoguent au lieu de s’empoigner, entre urgence et contemplation, avec une volonté manifeste de comprendre les impulsions de l’autre pour mieux les imbriquer dans les leurs.