MALAÏSE – s/t

Une basse au cordeau, une batterie extrêmement sèche, une guitare qui ressuscite les pulsions morbides et les fulgurances hachées de John McGeoch, on a de prime abord l’impression d’avoir posé la main sur un inédit des Banshees. En moins pop et plus torturé toutefois, plus écorché aussi. Pour le reste, des intonations de la voix à celles des instruments, on se croirait dans les entrailles de KaleidoscopeJuju ou A Kiss In The Dreamhouse, triplette magique sur laquelle le temps ne semble avoir strictement aucune prise. En revanche, il ne s’agit aucunement d’une simple copie carbone, les inflexions lo-fi et jusqu’au-boutistes, la saturation qui ornemente joliment la production et la très courte durée des morceaux montrent qu’il se joue ici bien plus qu’un bête hommage et que le groupe existe pour lui-même et pour ce qu’il veut faire passer. D’ailleurs, MALAÏSE aime aussi parfois s’emballer (Modern Colonies par exemple) et jette dans ces moments-là ses oripeaux post aux orties pour ne garder que le punk en rappelant qu’un Death To Pigs en fait partie (voire un et demi si l’on tient compte du fait que Julien Louvet officiait sur l’impétueux et formidable Live At Karachi) ou au contraire évacue le punk pour ne garder que le post par le truchement d’une guitare qui expose quelques arabesques délavées propres à The Austrasian Goat (Colors). Un côté mal peigné et renfrogné qui permet au trio de sortir de l’ombre des références pour marcher tout à côté. Une incarnation contemporaine qui reprend certes quelques stéréotypes mais qui n’en regarde pas moins droit devant. Alors ce nouvel éponyme reprend certes les armes du précédent mais va beaucoup plus loin : il suffit de comparer les deux versions de City Lights par exemple pour s’en convaincre et au final, on trouve peu de point commun – hormis le morceau lui-même – entre les râles rachitiques et pelés de 2013 et les chromes sombres mais rutilants d’aujourd’hui. Outre un remaniement de tracklist et quelques morceaux envolés au profit d’autres qui apparaissent, c’est bien d’une rénovation en profondeur dont il s’agit ici. La cassette rose éditée à 100 exemplaires s’est muée en beau vinyle et les morceaux ont gagné en muscles et en crocs tout en conservant intact leur pouvoir de sidération morbide déjà bien présent.

Des ornementations nouvelles voient le jour, des digressions guitaristiques extrêmement froides, des intonations de voix fulgurantes et étranglées qui siéent parfaitement à ce post-punk habité – rappelant que Ciara Thompson vient de la soul (elle officie chez les Buttshakers, cousins lyonnais des Bellrays) et que les accointances entre ces deux genres a priori très éloignés ne demandent qu’à exister – tout cela contribue à renforcer le caractère éminemment cold de MALAÏSE et précipite l’album dans les plus sombres tréfonds du noir torturé. Les titres s’enchaînent rapidement et conservent leur vibration singulière, désespérée, ça ne rigole pas et ça ne veut surtout pas rigoler mais c’est aussi sacrément bien écrit. De l’urgent To Catch A Thief en ouverture au martial Men Of Nothing qui clôt un album décidément trop court, il est bien difficile de trouver la moindre scorie qui pourrait dénaturer la tension qui habite MALAÏSE. La basse déverse imperturbablement ses ondes sur les entrelacs secs et malingres de la guitare, la batterie accompagne tout cela idéalement et dans ces conditions, la tessiture profonde de la voix peut venir hanter le moindre recoins de ces blocs de charbon qu’elle seule éclaire. On pourra bien sûr reprocher le manque d’originalité de l’ensemble et arguer que tout cela a déjà été entendu mille fois mais qu’importe puisqu’on a rarement entendu mieux et puis, à bien y regarder, on voit bien que le mastering (encore une fois parfait) de Reto Mäder a du mal à contenir le souffle du trio. Un souffle qui s’échappe du moindre interstice, qui recouvre tout et qui vient de loin, d’une part enfouie et invisible dont ces trois-là inondent leurs morceaux. C’est que cet éponyme extrêmement écorché exsude nombre de poussières de vie alors même que le propos est majoritairement morbide. Quelque chose comme un beau paradoxe qui confère au disque un truc bien à lui, impalpable peut-être mais néanmoins bien là. On a parfois l’impression que la musique dépasse complètement le groupe, qu’elle n’est pas préméditée et cela donne à MALAÏSE un côté tout à la fois rageur et habité, ce qui n’étonnera pas les oreilles déjà sensibilisées à Austrasian Goat ou Death To Pigs. Personne ne triche ici et la musique ne découle pas d’une quelconque pose. Elle advient et c’est tout.

Quoi qu’il en soit et même si vous n’avez pas trouvé la force de lire tout ce qui précède, sachez que l’album est disponible dès maintenant en « name your price » via bandcamp ou bientôt en vinyle chez Impure Muzik, Deviance, 213 Records, Acide Folik ou encore La Face Cachée et qu’une écoute vaudra toujours mieux qu’un long discours. Puisqu’il va de soi que la rage désespérée de MALAÏSE devrait provoquer quelques remous sous votre épiderme.

Obsédant.

leoluce

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