SVIN – s/t

SVIN, d’après un outil de traduction fort peu développé, signifierait « Porcs » en danois. Pour le reste, difficile d’en savoir plus. Enfin, si, un peu quand même. SVIN a une mission : « to create a greater genre diversity in a world where the music industry’s cash register sets the agenda« . Effectivement, à l’issue de l’écoute de ce troisième album, sobrement intitulé SVIN, on se dit que le but n’est pas loin d’être atteint. Joliment anticommercial et proprement métamorphe, les étiquettes et les codes-barres n’adhèrent que modérément, voire pas du tout, sur le vortex massif et échantillonné des Danois. Pour le reste, on y entend beaucoup de choses et on en ressent tout autant. Et même si l’on regrette sa très courte durée, on aime l’écouter et l’écouter encore. On y entend du jazz, d’obédience free, de la noise, du drone et du rock’n’roll (ou tout autre chose acoquinée au vocable rock, du math au punk jusqu’au post) et ça se range de prime abord – et sans qu’on le veuille vraiment – à côté d’Ultralyd par exemple ou en tout cas dans ces contrées-là de la boîte crânienne. Et puis les morceaux s’enchaînent et à chaque fois, une référence vient en chasser une autre (on pense à Coleman et même à la dynamique du Boléro de Ravel à moment donné) et au final, il ne fait aucun doute que SVIN ne relève ni des uns ni des autres. Les quatre Danois tracent leur chemin, un bout de route qui n’appartient qu’à eux et on arrête assez vite de vouloir les rapprocher de quiconque. Leur musique peut se montrer sacrément massive, ténor, cor et clarinette bien accrochés à la batterie développent alors des lignes de fracture incisives, la guitare apportant ce qu’il faut de liant pour que les morceaux ne s’écroulent pas sous leur propre poids (Maharaja). Parfois, c’est elle qui s’agrafe aux percussions, labourant l’espace quand les cuivres se déplacent en cercles concentriques, bien cachés derrière les hautes herbes alors qu’ils montraient les crocs jusque-là (Arktis, Fuck John). À d’autres moments encore, tout ce petit monde se tait puis murmure et met sur pieds une fragile estampe qu’une simple brise suffirait à déchirer (Alt, Satan). En six titres suspendus dans les airs ou empilant les strates l’instant d’après, les Danois expérimentent la vitesse et la densité. Des bouts de mélodie sont disséminés ici et là, mettant en exergue le tapis rythmique extrêmement dense ou au contraire, l’apaisant. Des poussières de folklore sont injectées dans les morceaux, ce qui fait que l’on a parfois l’impression qu’ils viennent de partout.

Le quartette aime emprunter les chemins de traverse, fidèle à son credo : l’éléphant affolé qui porte le Maharaja en ouverture est bien loin lorsque résonnent Alt et ses quelques notes de guitare égrainées dans le souffle d’une clarinette fragile. De la même façon, la faconde psycho-de traviole des débuts de Fuck John ne laisse absolument pas présager la suite, un ressac rythmique agressif où la batterie tabasse d’abord le ténor puis ralentit la cadence lorsque les autres instruments viennent gonfler le souffle de ce dernier. De la variété entre les morceaux puis dans les morceaux et toujours ce tamis expérimental sur lequel grandit la musique de SVIN. Pour peu que l’on détaille les structures, on voit bien comment tout s’entremêle, comment tout est compliqué alors que le rendu paraît si simple. Les champs respectifs que s’attribuent les cuivres et les vents, en avant ou en retrait, voire parfois tous ensemble et tout autour, les arabesques complexes de la guitare, le rôle prépondérant des percussions apportant une patine tribale à l’ensemble du disque, le tout probablement résumé par les huit minutes de Fede Piger, ultime morceau paroxystique où le groupe réunit tout ce qu’il a donné à entendre lors des cinq titres précédents. Une entame à peine perceptible qui gonfle progressivement, simple clapotis de cuivres se muant en tempête quand tout les instruments montent les uns sur les autres pour atteindre l’acmé. On aurait aimé qu’il dure des heures mais non, c’est déjà fini. C’est bien là le problème de ce disque magnifique, c’est qu’il est avant tout frustrant. Trop court. En même temps, c’est peut-être aussi ce qui en décuple la créativité. Tout y est sans doute resserré, mais ça n’a nullement empêché SVIN de tout y mettre. Et si on a l’air de faire la fine bouche, au final la variété y est telle que l’on finit par oublier sa durée et il suffit de remettre le tout au début pour découvrir un éclat qui jusque là était resté dans l’ombre.
C’est le troisième album de SVIN, sans doute faut-il chercher là la déconcertante facilité avec laquelle Lars Bech Pilgaard (guitare), Henrik Pultz Melbye (saxophone ténor, clarinette), Thomas Eiler (batterie) et Magnus Bak (cor alto) s’emparent des genres (pêle-mêle drone, ambient, folk, drone, jazz, noise, post-rock, n’en jetez plus, j’en oublie sûrement) pour les injecter dans leur agrégat. Ils y sont tous identifiables mais c’est surtout SVIN que l’on identifie : ils les plient pour qu’ils s’insèrent parfaitement dans leurs structures, ils les respectent mais surtout, se les approprient pour atteindre la diversité recherchée dans leur profession de foi. Ce bel éponyme est aussi leur meilleur à ce jour, celui qui fait impatiemment attendre la suite, celui où les passages fougueux sont légion, celui qui s’appuie sur des constructions plus denses, où l’improvisation n’est plus une fin en soi mais au service d’un dessein plus grand, capturé live, inondé d’un souffle urgent qui recouvre chaque morceau d’un éclat définitif. C’est la vie qu’on y entend, dans toute sa diversité, et c’est bien pour ça qu’il nous touche autant. De quoi comprendre leur iconoclaste patronyme puisqu’on sait bien que tout est bon dans l’animal que le groupe s’est choisi comme totem.
Remarquable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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