A Shape – Iron Pourpre

Deuxième album après Inlands (2017), Iron Pourpre préserve la grande tension d’A Shape. Voire l’exacerbe. Elle se cache au creux du plus petit interstice et la plupart du temps, inonde les morceaux à grandes eaux. Bien sûr, le chant habité de Sasha Andrès intervient pour beaucoup dans l’extrême élasticité d’une musique qui frôle sans cesse la rupture mais il n’est pas le seul. Guitare (Eric Pasquiet), basse (Mathieu Le Gouge) et batterie (Anthony Serina) malaxent largement Iron Pourpre et sculptent des idoles hallucinées qui prennent vite racine dans la boîte crânienne.
Au programme, de l’arraché, du griffu, de l’aplati aussi, de l’inquiet tout le temps et des montagnes russes partout. Ça avance pied au plancher sauf quand le groupe suspend son vol ou décide de se lancer toute berzingue dans un cosmos tracassé que l’on imagine avant tout intérieur. La ligne droite, c’est pas trop leur truc aux A Shape. Ils lui préfèrent les circonvolutions, les bulles d’éther, le frottement et les azimuts changeants. Fidèle aux couleurs de sa pochette, l’album (capté et mixé par Antoine Cocquelet, masterisé par Nicolas Dick) est un creuset incandescent, une fournaise où les forces telluriques se fracassent entre elles et transmettent leur entropie tout autour d’elles. C’est comme un cœur qui palpite en arythmie ou un dialogue intérieur particulièrement féroce.
Pourtant, il ne faut pas s’attendre à des tombereaux de violence. Il y a même beaucoup de moments que l’on pourrait qualifier d’apaisés même si ce n’est absolument pas le bon mot. Trop d’instinct, d’écorchures et de nuées inquiètes pour cela. Pourtant, A Shape, c’est vrai, abandonne régulièrement sa chair et son squelette pour rejoindre le gaz et comme il le fait souvent sans prévenir, le relief s’en retrouve fortement accidenté. C’est bien ce qui donne paradoxalement toute sa substance à leur noise fracassée.

Évidemment, difficile de ne pas penser aux early-Heliogabale (Philippe Tiphaine intervient d’ailleurs sur Echoes) même si ça ne colle pas vraiment (plus mouvant), j’y entends aussi des bribes de Terminal Cheesecake même si ça correspond clairement encore moins (moins lourd et moins drastiquement taré). Néanmoins, Iron Pourpre cingle quelque part là-dedans et crée une nébuleuse floue, parcourue d’orages électriques et de tempêtes corrosives. D’emblée, A Shape lâche Black Mamba et les chiens avec. Non content de viser la jugulaire et d’asphyxier, le morceau grignote aussi les guibolles. Sa construction mouvante le fait successivement se cabrer puis s’aplatir et ça préfigure pas mal tout le reste.
Très disloquée, la musique d’A Shape (et les titres qui la délimitent) donne souvent l’impression d’avoir été brisée en mille morceaux puis réassemblée sans mode d’emploi : la voix peut être déclamatoire et s’appuyer sur un parterre rythmique distordu alors que la guitare avance droit devant (l’époustouflant Crave), la basse peut aussi se montrer indéboulonnable et laisser guitare, batterie et saxophone (le soprano et l’alto déterminants de Quentin Rollet intervenant sur cinq titres) se fracasser les uns contre les autres (le merveilleux Lungs) et ainsi de suite. Le morceaux prennent souvent par surprise en allant exactement là où l’on ne pouvait pas penser qu’ils iraient et on se retrouve très vite égaré dans le disque. C’est bien ça qui accroche énormément : Iron Pourpre est tout le temps inattendu tout en restant parfaitement prenant.
Sa freeture n’est jamais vaine, ses ruptures incessantes jamais téléphonées alors qu’il pouvait y avoir de quoi – le presque breakbeat qui déboule comme ça au beau milieu de Thirst Trip, les imprécations vénéneuses de Vertical Flex, les échantillons de mélodies qui apparaissent puis disparaissent sans crier gare un peu partout – et surtout, malgré ce que je viens d’en dire, tout est parfaitement à sa place et advient pile quand ça doit advenir.

Imprévisible peut-être mais surtout infiniment cohérente, la noise personnelle et un poil psychédélique d’A Shape trouve en Iron Pourpre son épiphanie.

Magnifique.





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